Lancé en 2015, le Prix Le BAL / ADAGP de la Jeune Création est aujourd’hui l’une des bourses de création les plus importantes en Europe pour la photographie. Véritable tremplin pour la création émergente, il offre à ses lauréats 20.000 €, un accompagnement de deux ans dans la mise en œuvre d’un projet photographique déjà amorcé, aboutissant sur une publication ainsi qu’une exposition au BAL.
Les lauréats bénéficient également d’une présentation dédiée sur les cimaises de l’ADAGP. Marie Quéau est la lauréate de la cinquième édition du Prix Le BAL / ADAGP de la Jeune Création pour son projet Fury. L’Œil de la Photographie a rencontré l’artiste française pour évoquer l’évolution de cette série qui sera présentée fin 2025 au BAL à Paris.
Peux-tu nous dire quelques mots sur ton parcours et ta démarche photographique ?
J’ai étudié l’histoire de l’art à la Sorbonne avant d’intégrer l’École Nationale Supérieure de Photographie d’Arles. Depuis mon diplôme en 2009, je poursuis une démarche personnelle tout en réalisant parfois de la commande pour des magazines de sport tels que L’Équipe ou Entorse Magazine. Ce lien au sport est important car c’est par ce travail de commande qu’est né le rapport au corps que je développe dans ma pratique.
Cette question du corps est au cœur de ta série Fury.
Pour Fury, je me suis intéressée à différentes disciplines sportives, des cascadeurs, de l’apnée statique, mais aussi de la motion capture ou des fury rooms. Je voulais mettre en avant une philosophie du corps, quelque chose qui touche aux limites, d’un point de vue fictionnel plutôt que d’une étude biologique du sport. À ce moment-là, je cherchais des endroits où régnait une tension liée au poids, à la charge, à des dispositifs qui mettaient en jeu cette idée de soulager ou de rajouter du poids aux choses. Dans mes images, les corps tombent ou sont suspendus, à l’arrêt…
Pourquoi ce titre, Fury ?
J’ai toujours été fascinée par les images que je trouve dans des publications de seconde main, souvent liées à l’histoire de l’art, la biologie, l’histoire, les sciences naturelles, etc. Je les découpe et réalise des collages dans un cahier avec lequel je crée de nouveaux mondes. Ce moment de recherche et d’observation constitue la part la plus importante de mon travail. Lorsque je commence un projet, j’ai généralement besoin d’une base fictionnelle pour élaguer et revenir au réel. Fury est venu du film Alien 3 et d’une phrase qui mentionne une planète appelée Fury 161. Au tout début, j’imaginais que les personnages que je photographiais vivaient sur cette planète-prison qui est un lieu de punition. J’ai gardé « Fury » parce que j’aimais l’énergie que ce titre représentait. Les Furies sont aussi des divinités persécutrices de la mythologie romaine, que l’on peut retrouver sur des stèles. On revient donc à cette idée de la mort, qui est très présente dans mon travail.
Il y a dans tes images une dimension inquiétante, parfois oppressante. Est-ce qu’elle reflète ton propre état d’esprit quant à notre monde ?
J’ai développé depuis mon diplôme une esthétique liée à cette question de l’inquiétude, qui passe notamment par du noir et blanc ou une affection pour des couleurs très artificielles. Comme j’ai des cadrages très serrés, j’évacue souvent le contexte pour ne pas raconter spécifiquement tel endroit ou telle époque et je pense que ce circuit fermé crée une forme d’angoisse, quelque chose d’étouffant. Je pense qu’il est intéressant d’aborder le monde par ce prisme et de jouer sur les tensions entre l’esthétique et le sujet.
En 2023, tu obtiens pour Fury le Prix Le BAL / ADAGP de la Jeune Création. En quoi consiste le prix et son accompagnement ?
Le prix comprend une dotation qui constitue un double soutien puisqu’elle me permet non seulement de produire le projet mais aussi d’avoir la liberté économique de m’y consacrer entièrement. L’accompagnement comprend des temps de discussion autour de l’évolution de la série avec Diane Dufour, co-directrice du BAL, et Julie Héraut, responsable des expositions et de la recherche. Quand je travaille, je fonctionne en vase clos, j’aime être dans mon monde et me couper du reste. Il y a peu de moments où je montre l’évolution d’un projet, en tout cas dans le milieu professionnel. Cet échange, me permet d’avoir un va-et-vient d’idées très stimulant. Je me confronte au regard de deux commissaires et à l’identité d’un lieu axé sur la photographie documentaire et ses formes hybrides.
À terme, cet accompagnement mènera à la présentation d’une exposition au BAL et à la publication d’un livre.
Ce temps de recherche va en effet prendre forme dans une deuxième phase, que nous sommes en train d’enclencher. Tout commence à se préciser, les thématiques, l’axe, la forme… J’aurai l’opportunité de discuter avec Cyril Delhomme, le scénographe du BAL avec qui je vais engager un dialogue sur les multiples possibilités qu’offre cet espace et les manières de le moduler. J’aurai notamment accès aux archives des expositions qui ont été présentées au BAL jusqu’à aujourd’hui. C’est la première fois que j’ai un tel accompagnement dans la préparation d’une exposition. C’est aussi la première fois que je travaille une série en ayant en tête la perspective d’un livre et d’une exposition. La manière dont cela conditionne mon travail, offre une approche très différente.
Sais-tu déjà quelle forme prendra l’exposition ?
Cette partie du travail n’a pas encore été abordée mais j’ai déjà quelques idées pour l’exposition qui mêlera, de manière assez inédite pour moi, photographie et vidéo. Je voudrais notamment mettre en regard dans un jeu de recto verso une vidéo d’apnée statique et une autre de fury room. J’aime cette idée de polarisation, d’extrêmes et de crispation qu’on peut aussi ressentir dans notre monde contemporain.
L’ADAGP et son soutien à la création
Depuis 1953, l’ADAGP défend et soutient les artistes du monde entier — parmi eux près de 21 000 photographes — dans la perception de leurs droits d’auteur. La société française est également très active dans le rayonnement des arts, et de la photographie en particulier.
Pour soutenir et accompagner les artistes à des moments clés de leur parcours professionnel, l’ADAGP a mis en place plusieurs aides – en plus du Prix LE BAL / ADAGP de la Jeune Création, notamment la bourse Collection Monographie qui bénéficie à 7 lauréats et permet de contribuer au financement de la publication de leur ouvrage monographique ; la bourse Transverse créée avec FreeLens pour inviter un photographe à concevoir une œuvre en duo avec un artiste d’une autre discipline artistique des arts visuels ; la bourse Fanzine promeut l’expérimentation inhérente à ce médium alternatif et soutient sa créativité ; la bourse Ekphrasis, en association avec l’AICA France, qui répond à la nécessité pour les artistes de disposer d’un texte de référence sur leur travail ; et le Prix Photographie & Sciences qui accompagne un photographe dans la finalisation de sa série en cours de réalisation. L’ADAGP accompagne aussi des structures soutenant la photographie, comme l’association Gens d’images, les Rencontres de la photographie d’Arles et le festival Photo Saint Germain.
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