Eugénie Baccot a reçu le prix Canon 2022 de l’IWPA pour sa série Nsenene Paradise. Elle présente son travail avec ce texte :
Pendant la saison des pluies, Kampala, la capitale ougandaise, prend des allures lunaires. Au printemps et à l’automne, des nuées vertes stridulantes traversent les cieux. Les sauterelles, les nsenene comme on les nomme en luganda envahissent le pays pour se reproduire et se nourrir. La saison des sauterelles créer la liesse. Ramassés pendant la nuit, les orthoptères au goût de noisette sont vendus cuits au petit matin sur les marchés pour moins de 2 euros le sachet.
Des planches de zinc de près de plusieurs mètres de haut, des bidons, des ampoules et des générateurs sont les composants nécessaires pour fabriquer des pièges et capturer les insectes en plein vol. Assemblés au crépuscule, les murs de métal et les néons verts fluo donnent à la Kampala des allures d’aéronef. Le courant qui alimente les ampoules éblouissantes provient de raccordements illégaux au système électrique déjà extrêmement précaire de la ville.
Éblouis par la lumière et étourdis par l’odeur âcre de l’épaisse fumée émanant des braseros où l’on brûle plastiques et brindilles, les locustes se précipitent dans les pièges. Elles sont des milliers, des millions à virevolter dans le ciel, cueillis encore vivantes par des chasseurs habiles.
Tout aussi éblouis, ces derniers sortent leurs lunettes de soleil en pleine nuit. Certains s’y sont déjà brûlé les rétines.
Cela fait plusieurs années que les nuées sont moins fréquentes et plus chiches. Or, l’arrivée des sauterelles est cruciale. Riches en minéraux, en fer et en protéines, les insectes comestibles nourrissent des millions d’humains. L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture a d’ailleurs décrété l’insecte comme source future d’aliments pour l’Homme.
L’exploitation intensive de ces fermes à ciel ouvert a engendré une chute de la population des insectes ramassés par milliers de tonnes. La situation est aujourd’hui critique.
Les changements climatiques qui rendent imprévisible la venue des pluies affecte le comportement des insectes déboussolés. Leur habitat naturel a en partie été détruit par les cultures de masse de palmiers ou de cannes à sucre. Affamés, les nsenene sont devenus des ravageurs capables de mettre à sac un champ de céréales en quelques minutes.
Autrefois traditionnelle, la chasse est devenue massive. Les pièges ont laissé la place à d’immenses fermes futuristes. Les besoins en protéines d’une population grandissante seront-ils à l’origine de la disparition programmée des sauterelles que tout le monde attend, les yeux rivés au ciel ?
Eugénie Baccot
Bio
Ma démarche photographique d’auteure à fort caractère narratif revendique une approche documentaire, hautement humaine des sujets auxquels je me consacre en France ou à l’étranger.
Photographe indépendante basée en France, je m’intéresse à l’homme dans son milieu. Je réalise des voyages de reportages au cours desquels je documente le quotidien de communautés peu conventionnelles ou alternatives parfois en lien avec des questions identitaires et leurs représentations. Mon empreinte photographique engagée se situe à mi-chemin entre le photoreportage et la photographie d’auteur.
Cette démarche demande beaucoup de temps et d’empathie ; j’estime que pour documenter la vie de l’autre, il faut avant tout prendre le temps de le connaître.
Mes projets éditoriaux personnels et travaux de commande sont diffusés dans la presse française et internationale The Washington Post, GEO, Stern, D La Repubblica, Days Japan, Newsweek Japan, Vanity Fair, Paris Match, Le Figaro Madame, Le Monde, Le Monde des Religions, Liberation, Le Parisien, L’Obs, L’Express.
Je fais partie du réseau international des femmes photographes Women Photograph.
Site personnel www.eugeniebaccot.com