La démarche de Fieret est typique du street photographer, vorace et insatiable, saisi d’une sorte de furie créative. À la différence des champions du genre, il n’est pas omnivore. Il ne capture pas avidement tout ce qui passe à sa portée et stimule ses pulsions primordiales. Pas de geste cruel et prédateur. Pas de chasse. Fieret ne s’attribue aucune supériorité par rapport à ce qu’il réussit à enfermer dans l’image. Sa photographie n’est pas une déclaration d’autorité. Contrairement à Garry Winogrand, ses femmes ne semblent jamais dominées par la présence du photographe et nouent plutôt avec lui un lien de complicité. Fieret ne photographie pas par instinct mais par amour. Il utilise son appareil pour devenir intime avec les femmes qu’il cadre. Sans perversion, avec un profond respect. S’abandonnant à leur regard et à leur corps avec déférence et docilité. Si chaque portrait, à l’instar de la relation de couple, est aussi une question de pouvoir, ici, le pouvoir appartient entièrement à celle qui pose devant l’objectif. À l’inverse du pornographe qui cherche à mettre mal à l’aise d’innocentes jeunes filles, Fieret est un romantique invétéré : ses photos sont autant de compliments dans une cour galante sans fin.
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Fieret utilise la photographie pour toucher. Tel un enfant dans sa découverte du monde. Chaque détail capturé est comme une main qui s’avance. Elle tâte. Elle expérimente. Les autoportraits qu’il réalise à foison au cours de sa carrière ont la même fonction. Gestes d’affirmation de son identité, comme les signatures et les tampons, il s‘agit aussi d’atteindre à une connaissance de soi. Autoanalyse. De face ou de profil, avec ou sans appareil-photo, posant ou non, dehors ou dans son atelier (où la présence de certaines de ses œuvres picturales au mur participent souvent à son autoreprésentation), Fieret se découvre, se dévoile, se frôle. Indépendamment de toute intention documentaire, il poursuit une œuvre de prospection de la réalité. Dans l’excès de chair et de matière, ce ne sont pas les sujets (la chose en soi) qui émergent, mais son rapport avec chacun d’eux.
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Certaines séquences cinématiques, constituées pour la plupart d’images ressemblantes, juxtaposées et tirées sur une seule page, constituent l’apothéose de la tendance à la répétition de Fieret. Confirmant sa veine expérimentale intarissable, elles représentent surtout la limite extrême dans la simplification d’une séquence narrative. Tout se passe entre le point A et le point B. Le début et la fin sont côte à côte. Pas de trame. Pas d’intrigue. Deux photos et le vide qui les sépare. En même temps, elles témoignent de la totale idiosyncrasie de Fieret à l’égard du déchet. Il ne jette rien. Aucun raté, aucune erreur. Si deux images se ressemblent, ce sont deux variantes également appréciables, isolément ou ensemble. Cela vaut aussi pour les tirages. Non seulement il peut exister plusieurs versions (parfois à grande échelle) d’une même image, grandes ou petites, claires ou sombres, solarisées ou non, … mais leur état de conservation n’impose aucune hiérarchie. Même vieux, abîmés, mouillés, tachés, les tirages restent toujours valables. Fieret ne se soucie aucunement de les protéger, il les empile, les expose à la lumière directe, laisse son chat les piétiner, accueillant de bon gré leur histoire aléatoire. De leur naissance à leur mort. Le résultat : des pièces uniques. Mais aussi une infinité de feuilles de papier qui pourrissent comme pourrit son corps. Avec une parfaite symétrie. Par-delà tous les mythes d’éternité (de la photographie et du reste). Dans un processus à la fois irréversible et poétique.
Extrait du texte Fieret Fieret Fieret par Francesco Zanot, directeur artistique de CAMERA – Centro Italiano per la Fotografia, à Turin, publié dans le livre accompagnant l’exposition Gerard Petrus Fieret.
EXPOSITION
Gerard Petrus Fieret
du 20 mai au 28 août 2016
Exposition conçue et produite par LE BAL, CAMERA – Centro Italiano per la Fotografia à Turin et le Fotomuseum Den Haag à La Haye
Le BAL
6, Impasse de la Défense
75018 Paris
France
http://www.le-bal.fr
LIVRE
Gerard Petrus Fieret
Texte inédit de Wim van Sinderen, Violette Gillet, Francesco Zanot, Hripsimé Visser.
Co-Edition LE BAL et les Éditions Xavier Barral
Bilingue français/anglais
Relié sous coffret, 18 x 26 cm
592 pages
297 photographies N&B
47 euros