L’un des principes de base du photojournalisme est de faire entendre la voix de ceux qui ne peuvent pas parler en leur nom. Mais quel sens cela peut-il avoir dans notre monde numérique, où la photographie n’a jamais été aussi puissante et accessible ? Avons-nous encore besoin que les photojournalistes racontent des histoires puisque presque tout le monde est en mesure de prendre des photos avec un Smartphone et de raconter ses propres histoires ?
En réalité, plus de 2 milliards de personnes sont encore défavorisées sur le plan de la communication numérique. Et beaucoup d’entre elles sont celles dont les histoires doivent être racontées. L’idée selon laquelle tout le monde aurait un Smartphone est une croyance de privilégié. En dépit des avancées technologiques, l’écart numérique se creuse sur la planète.
L’« écart numérique » est un terme utilisé pour décrire le fossé entre les individus défavorisés et ceux des classes urbaines moyennes ou riches, dans des pays comme les États Unis. Il est également utilisé pour évoquer des nations ou des continents en voie de développement et sans les ressources nécessaires, comme l’Afrique ou l’Asie.
Géographie mise à part, l’écart numérique impacte de façon générale ceux qui vivent en marge de la société, auprès des communautés rurales, plus âgées, ou indigènes, mais aussi les illettrés et les handicapés. Des milliards de personnes n’ont pas accès aux réseaux mobiles. Beaucoup ont des histoires à raconter, mais pas de moyen pour le faire.
Si quelqu’un demande : « Pourquoi aurions-nous besoin des photojournalistes puisque tout le monde a un Smartphone ? », la réponse est claire : les plus vulnérables sont souvent encore plus invisibles aujourd’hui que par le passé ; peut-être plus que jamais, nous avons besoin des photojournalistes pour établir l’équité dans les compte-rendus visuels de notre époque.
En termes de visibilité, l’opportunité offerte par Internet d’atteindre de nouveaux réseaux et de créer les prochains a largement aidé les photojournalistes. Et si « la (seule) visibilité ne paie pas le loyer, » comme le dit Susan Meiselas de l’agence Magnum, puisque le but ultime est de faire entendre une histoire à un public le plus large possible, alors le photojournalisme en a plus que jamais l’occasion.
En outre, le nombre d’images en circulation est beaucoup plus élevé qu’auparavant. Le risque de surcharge est élevé. Pour sensibiliser les consciences aux grands problèmes sociaux, les photojournalistes cherchent des moyens de raconter des histoires qui rompent avec la saturation visuelle. Ils assument également un rôle et des responsabilités plus grands, en allant au-delà des limites de l’expression dans les médias traditionnels, pour mener plus loin leurs histoires.
Witness Change
L’histoire des journalistes activistes est longue, et la technologie numérique a élargi la portée de leurs actions, leur permettant de collaborer avec d’autres pour créer des communautés en ligne au sein desquelles des personnes partageant les mêmes opinions peuvent se rassembler pour défendre tel ou tel changement.
Ils sont toutefois peu nombreux à formaliser leur approche comme le fait le photojournaliste primé activiste des droits civiques, Robin Hammond. Robin est le directeur de Witness Change, une organisation qui « produit des histoires hautement visuelles pour ouvrir les esprits et transformer les politiques générales sur les questions rarement soulevées d’offenses faites aux droits de l’homme. »
Si Witness Change a été lancée officiellement en juin 2015, Robin travaille depuis plus de dix ans sur des projets à long terme. Il explique ce qui l’a motivé à créer cette organisation : « Pendant des années, j’ai témoigné des offenses faites aux droits de l’homme dans le monde entier. J’espérais que mon travail améliorerait la vie des gens que je prenais en photo. Malheureusement, pour beaucoup, la vie restait globalement la même. Il manquait quelque chose. Je me suis rendu compte que si je voulais faire la différence, cela ne suffisait pas de témoigner et d’espérer ; le changement doit être au cœur de mon action. Witness Change a été formée par un groupe de personnes qui refusent de croire que les choses doivent rester telles qu’elles sont. Le projet est né de la croyance que les gens comptent, que les histoires ont une force et que le changement est possible.
Robin a débuté son dernier projet en 2014. Intitulé « Where Love is Illegal » (« Là où l’amour est illégal »), il cherche à attirer l’attention sur les offenses aux droits de l’homme dans les communautés LGBTI de pays tels que le Nigeria, l’Ouganda, l’Afrique du Sud, la Malaisie, la Russie et le Liban.
Travaillant avec des groupes LGBTI locaux, Robin a créé une série de portraits accompagnés des histoires personnelles de ceux qu’ils représentent, dont beaucoup sont les récits déchirants d’abus physiques et affectifs, de terreur et de torture. Mais ce sont aussi les histoires de personnes qui restent fortes, fidèles à elles-mêmes et à ceux qu’elles aiment. Afin de mener plus loin la discussion, chacun est invité à poster son histoire sur le site internet de Witness Change.
Si le projet a été créé à l’origine pour éveiller les consciences à travers le récit en images et en mots, il a évolué jusqu’à devenir beaucoup plus. L’équipe en charge de « Where Love is Illegal » oeuvre désormais à fournir un soutien financier aux groupes LGBTI ayant collaboré au projet.
« Condemned » est l’un des autres projets de Robin, désormais porté lui aussi par Witness Change. « Condemned » traite du non respect des droits de l’homme par la stigmatisation de la maladie mentale dans les pays africains en crise. Ce travail, qui est à la fois un livre et une exposition, a été mené pendant plusieurs années dans neuf pays de l’Afrique subsaharienne. Il a été montré et publié à travers le monde, et il a remporté de nombreux prix et soutiens. Robin a également donné diverses conférences sur le sujet et s’est entretenu avec plusieurs organisations de défense des droits de l’homme.
Il a obtenu des résultats tangibles et directs. En découvrant son travail, une ONG sud africaine a lancé un programme pour la santé mentale. Un programme plaidoyer a été établi, faisant parvenir des exemplaires du livre à des personnes influentes telles que Bill et Melinda Gates, Hilary Clinton, Bono et Bob Geldof, dans l’espoir qu’attirer leur attention sur ces offenses permette de changer le cours des choses.
L’histoire de Robin est singulière, mais elle est un bon indicateur du pouvoir d’action des photojournalistes à l’ère numérique, qui ne sont plus limités au monde des médias d’entreprises. Elle reflète la foi de Robin en l’idée qu’un changement est possible, qui continue à motiver son engagement et sa passion.
Witness Change n’est peut-être qu’un exemple prouvant que nous avons besoin des photojournalistes, mais c’est un magnifique exemple.
Liens:
Witness Change
https://witnesschange.org
Where Love is Illegal
http://whereloveisillegal.com/about/our-story/
Photojournalism Now
http://photojournalismnow.blogspot.com.au