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Photographiez sans entraves par Michel Guerrin

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En 2015, Michel Guerrin écrit pour le Monde. Nous avons repris son article.

 

Ce qui est bien, avec la photo de presse, c’est qu’on ne s’ennuie pas, tant les débats et polémiques surgissent à un rythme soutenu. On s’empoigne, on s’invective, sur les réseaux sociaux notamment. On y parle de trucage comme dans le sport de dopage. En février, l’auteur d’un reportage sur la ville de Charleroi a reçu un prix, puis s’est fait démolir. Par le maire, qui trouve ses images trop glauques. Par ses pairs, qui l’accusent d’avoir mis en scène son sujet. Les photos retouchées pullulent – facile de rendre un ciel bleu avec le numérique  –, provoquant des coups de sang. Durant l’été 2014, autre débat : un singe indonésien qui, en 2011, avait fait un selfie épatant avec un appareil subtilisé à un photographe animalier, peut-il avoir le statut d’auteur ?

La polémique de l’été 2015 vient d’un ancien journaliste du New York Times, A. D. Coleman, qui jette un coup de froid sur les rares – et mythiques – photos prises par Robert Capa lors du Débarquement en Normandie, en 1944. Depuis soixante-dix ans, l’histoire officielle veut qu’un laborantin ait détérioré la quasi-totalité des pellicules lors de leur développement. Coleman, sur son blog, affirme que ces pellicules n’ont jamais existé : Capa aurait eu la trouille et a vite déserté la plage.

 »  Invisibles   »
Sans doute ces débats sans fin et sans issue, pollués par les notions stériles de vérité et de mensonge, par la morale et non la réflexion, animeront le festival Visa pour l’image, principal rendez-vous du photojournalisme au monde, qui démarre samedi 29 août à Perpignan. Ces polémiques montrent aussi que la photo d’actualité, par la fragilité de son contenu et les émotions qu’elle suscite, le brouillage de la notion d’auteur entre le pro et l’amateur, sa dépendance aux révolutions techniques, dit beaucoup de notre société. Mais ces débats montrent aussi que le métier de photoreporter n’existe plus ou presque. C’était une profession installée. On ne l’entend plus.  » Nous sommes devenus invisibles « , dit Christian Ducasse, animateur de l’Union des photographes professionnels.

Il y a 36 000 détenteurs de la carte de presse en France aujourd’hui, dont seulement 800 photographes. Et pourtant il y a toujours autant de photos dans les médias. Sauf qu’elles viennent de partout. Le photojournaliste de métier est remplacé par le photographe multicartes, qui baigne dans le multimédia, la communication, l’art, la mode et la presse. Il touche à tous les sujets, expose au musée, publie dans Le Monde ou dans un journal féminin, fait des livres, répond à des commandes d’entreprises, chasse les bourses privées et l’argent des institutions, enseigne, fait un autre métier…

C’est bien de l’époque que d’être partout et nulle part. Mais pas la meilleure façon de défendre une profession. Prenons le photographe de concert, chargé d’informer par l’image comme d’autres avec des mots. Il fait de l’été son miel avec de nombreux festivals. Arnaud Robert dans le journal suisse Le Temps le 25 juillet, puis Cécilia Sanchez dans Télérama le 29 juillet, lui ont consacré une enquête.

Ce qu’ils écrivent est effarant. Les photographes passent leur temps à quémander pour obtenir quelques minutes en bas de la scène. Ils sont humiliés, méprisés,  » mis en cage  » à 100 mètres du spectacle, parfois menacés physiquement. Il leur arrive d’être carrément interdits de concert, comme à ceux de Guns N’ Roses ou de Bob Dylan aux Vieilles Charrues, à Carhaix (Finistère).

Au concert de Lady Gaga et Tony Bennett, le 6 juillet, au Montreux Jazz Festival, leurs managers n’ont accepté qu’un photographe, qui plus est membre de l’équipe du festival. Ils ont diffusé une seule image à la presse, après l’avoir retouchée :  » Le bras droit de la diva a été affiné, les plis de son cou lissés et les rides de Tony Bennett estompées « , écrit Arnaud Robert. Nombre de musiciens obligent aussi les photographes à céder leurs droits sur les ventes de photos après la première publication (un journal de Washington a décidé d’envoyer un dessinateur au concert des Foo Fighters plutôt que signer un tel accord, écrit Arnaud Robert).

Personne n’ouvre la bouche. Les patrons de festivals ne veulent pas se brouiller avec les artistes, ni les photographes avec les patrons de festivals. Les artistes, eux, entendent moins contrôler leur image physique que l’argent généré par les concerts à une époque où le disque est moribond. Ils voient le photographe professionnel comme un gêneur qui les coupe des fans : le public est libre de prendre des milliers de photos de son idole et de les poster sur les réseaux sociaux deux minutes après le début du concert – rien de mieux pour faire vivre une communauté.

Faisons un lien avec le dernier débat photographique né en cette fin d’été. Fallait-il publier, comme certains l’ont fait, l’image d’Ayoub El-Khazzani, le tireur du train Thalys, avec des menottes aux poignets ? Le lien, le voici. Nous vivons dans une société qui préfère nier la réalité en interdisant l’image. Qui cherche à entraver celui qui montre plutôt que de s’interroger sur ce que l’image montre, reflète, révèle. Se rassure dans le miroir d’images tronquées ou qui sont de pure communication.

par Michel Guerrin
Pour Le Monde, 29 août 2015

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