Le succès de PHotoEspaña doit beaucoup au charisme de sa directrice, Claude Bussac, et au choix du commissaire général. Après Sergio Mah, c’est le Cubain Gerardo Mosquera qui, pour trois années, est le chef d’orchestre de ce festival original dédié à la photographie et aux arts visuels. Issu du monde de l’art, cet homme sans frontières, qui ne peut ni enseigner ni publier sur son île natale (« Je suis un exilé dans mon propre pays »), a su donner sens et sensualité à cette quatorzième édition. Loin du terrorisme dogmatique, si tendance en France, et des acteurs d’une branchitude planétaire, Mosquera propose une édition modeste et dynamique, titrée Interfaces. Retrato y communicación. Le portrait, clé d’accès à l’échange et à la communication, entre le futur présent de la tablette numérique et la surface sensible de la photographie, née dans un siècle où la comtesse de Castiglione avait de nobles moustachus à ses pieds.
Tout n’est pas idéal dans cette édition, heureusement, aurait commenté Robert Doisneau qui ne goûtait guère la perfection absolue. Il y a certaines expositions – sur les 68 que comptent PHE11, dont 21 en sélection officielle – qui paraissent hors sujet, ou fastidieuses. Comme le labyrinthe de Face Contact, dont la densité finit par lasser, même si les cibachromes de Liliana Porter (Mickey en version solo), les portraits compacts de la Madrilène Marta Soul ou le manifeste du Chilien Pedro Lemebel restent gravés dans nos mémoires.
Alors, que choisir ?
La voie du bien-voir, comme on dirait le bien-être : soyez le visiteur zen, enjoy the show, et prenez le métro/bus (Tourist Travel Pass), le taxi (idéal en fin de journée). Madrid est aussi la ville d’Europe la plus accueillante, oui oui, c’est comme ça. Et ce n’est pas Woody Allen qui dira le contraire…
Au Círculo de Bellas Artes, voici Fernell Franco (1942-2006), et sa série sur les prostituées, présentée pour la première fois à Cali (Colombie), en 1972. Elles posent sans pudeur, mais avec une innocence touchante ; ce n’est pas très gai, le bordel en général, ni celui-ci, plutôt sordide, basé dans un quartier du port de Buenaventura. Matelas à même le sol, par exemple. Mais le photographe colombien comprend ces filles exubérantes, comme jadis Bellocq, dans une veine plus réaliste, s’entichait des girls de la Nouvelle-Orléans. Pour preuve de son attachement, les essais de Franco, recomposant/décomposant ces héroïnes exotiques dans la chambre noire, dans l’espoir d’une sublimation, entre purgatoire et éden de pacotille.
Dans le même lieu, à l’étage, Ron Galella, 80 ans, sa mère chérissait Cary Grant, bon signe. Débordant d’énergie, il fait son show à l’américaine, bon plan, bonne humeur générale. Andy Warhol était dingue de ce paparazzo, capable de suivre des journées entières les beautiful people. Lesquelles, parfois, s’énervaient, à juste titre, semble-t-il, de cette ombre fatale. Séance de boxe improvisée avec Marlon Brando, sur un trottoir de Chinatown. Cours de lassitude en justice avec Jackie Kennedy-Onassis. Exercice pratique d’auto satisfaction avec John Travolta, déjà sublime, en 1976, il a 22 ans, et, autour de lui, des groupies en folie. On le sait, Helmut Newton adorait les paparazzi, ils sont aujourd’hui à la mode, on les croise partout, y compris sur les cimaises des musées. Trop ?
Plus inscrite dans l’histoire même de la photographie, 1000 caras/O caras/ 1 rostro réunit deux célébrités et un mystérieux inconnu du dix-neuvième siècle : l’Américaine Cindy Sherman, transformiste-née, l’Allemand Thomas Ruff, exemplaire de neutralité, et le Mexicain Frank Montero, endossant de multiples rôles (chanteur d’opéra, pèlerin, etc) au cours de sa vie. Ce qui frappe dans cette exposition riche en vintages, plus que le mimétisme apparent – dont Cindy Sherman reste LA star sur le marché de l’art -, c’est l’agrégation de ces trois personnages. Du coup, devenu trio, chacun interprète sa carte d’identité, comme un jeu des sept familles où il n’y aurait plus qu’une seule famille, hantée par des problèmes d’héritage : à méditer.
Trouble de l’identité. Trouble de l’histoire des États-Unis avec Warren Neidich (présenté dans le off), si à l’aise avec réel et fictif qu’il invente ses propres archives : on rêve en direct avec Photoshop ! « Tout est faux, tout est théâtre, précise ce photographe américain basé à Berlin. Nous louons les costumes à Broadway, et nous réalisons les scènes dans la banlieue de New York. » Son exposition est assez troublante, parce qu’il ne cache rien, on devine les artifices et autres maléfices… Ainsi, la bataille de Chickamauga (1863) qu’il « réactualise » en la photographiant d’avion, comme si Nadar, à son époque, l’avait pris du haut de son ballon emprunté à Jules Verne. Ou son hommage ironique à Curtis, le photographe des Indiens oubliés, qui n’est qu’une suite de photogrammes de westerns télévisés. « Je suis un artiste politique, j’essaie de changer ce qu’il y a dans la tête des gens, je suis dans la culture de l’événement », conclut-il.
« Les quinze auteurs de Peso y levedad ne ferment pas les yeux devant la réalité. Il n’y a aucun exotisme. Leur photographie est une prise de conscience ». À l’Instituto Cervantes, Laura Terré, co-commissaire avec Rosina Cazali, résume le propos de l’exposition « la plus gratifiante » (Claude Bussac) de PHE11. Ces jeunes photographes ont été sélectionnés l’an passé lors de Transatlántica, un mouvement d’ouverture lancé depuis quatre ans en Amérique latine. Tout impressionne. La qualité des épreuves. Leur accrochage. Et la force inouïe des témoignages, bruts ou célestes. De Mayerling García (Nicaragua) à Mauricio Palos (Mexique), de Diego Levy (Argentine) à Eunice Adorno (Mexique), désormais leurs images nous appartiennent.
Enfin. Dans l’un des ateliers prodigieux du Matadero, est projetée 48, une installation éloquente de la Portugaise Susana de Sousa Dias, réalisée à partir d’un ensemble de photographies des archives de la DGS (la police politique de la dictature portugaise, 1926-1974). Elle écrit : « Qu’est-ce que la photographie d’un visage peut révéler d’un système politique ? Qu’est-ce qu’une image, prise il y a plus de 35 ans, peut nous dire sur notre actualité ? ».
Plus tard, Gerardo Mosquera condensera en trois mots la quatorzième édition de PHotoEspaña : « Provoquer la pensée ».
Brigitte Ollier
PHotoEspaña, 14ième édition, dans tout Madrid, jusqu’au 24 juillet (certaines expositions se terminent plus tôt ; d’autres un peu plus tard). Entrée gratuite, sauf au musée Reina Sofia -où l’on peut (re)voir des chefs-d’œuvre, ainsi Picasso et Guernica (1937), plus que jamais d’actualité.