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Photo Elysée : Laia Abril poursuit l’écriture de son Histoire de la Misogynie

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Depuis presque dix ans, Laia Abril étudie les oppressions infligées aux femmes au fil des siècles. Mêlant témoignages, sources historiques et photographie, ce projet colossal, qui se déploie sous la forme de chapitres, s’intitule Une Histoire de la Misogynie. Après avoir étudié les cycles menstruels, l’avortement, le viol et les féminicides, la photographe espagnole présente à Photo Elysée un chapitre qu’elle considère comme une des genèses de la misogynie : De l’hystérie de masse.

L’hystérie de masse, aussi appelée psychose collective, est un phénomène psychologique et social qui touche des groupes d’individus au sein desquels un symptôme physique se propage. C’est au Népal que Laia Abril commence à s’intéresser à ces manifestations singulières, qui touchent particulièrement les femmes. Elle réalise des recherches pour son projet sur les menstruations lorsqu’elle prend connaissance du récit d’ouvrières d’une usine de fast fashion qui se seraient évanouies par milliers.

Le prisme sexiste par lequel ce récit est perçu frappe particulièrement la photographe. Un des directeurs de l’usine affirme que leur évanouissement est dû à la quantité de maquillage qu’elles portaient. Quant à la réponse médicale, l’approche psychologique dominante tend plutôt à culpabiliser les femmes pour des symptômes inexplicables. Le terme « hystérique » a ainsi longtemps été utilisé par la médecine pour catégoriser des femmes considérées comme « difficiles ».

D’autres voix se sont élevées depuis, expliquant ces phénomènes comme une réponse à l’oppression subie par les femmes et leur corps, dont le seul exutoire, le seul mode d’expression serait ces symptômes physiques. C’est l’hypothèse que soutient Laia Abril à travers ce projet édifiant, qui aura nécessité plusieurs années de recherche, soutenues par PhotoElysée, Le Bal, le Finnish Museum of Photography et sa galerie Les Filles du Calvaires.

De formation journalistique, Laia Abril suit toujours un protocole de recherche minutieux, fouillant dans les archives tout en interrogeant des spécialistes de diverses disciplines. Cette étape est systématiquement mise en avant dans ses expositions ou publications. On la retrouve en introduction de l’exposition, sous la forme d’une frise chronologique retraçant l’évolution de ces phénomènes à travers l’histoire et leur interprétation sociétale : des femmes accusées de sorcellerie à Salem, des nonnes miaulant et mordant comme des chats en Allemagne, des crises épileptiques dans une usine britannique ou des fous rires incontrôlables dans une école tanzanienne.

Parmi ces occurrences, Laia Abril a sélectionné trois récits. Le premier, qui a vu naître ce projet, concerne les évanouissements dans l’usine népalaise. Ils ont eu lieu entre 2009 et 2022, atteignant parfois des pics où, sur une année, une moyenne de 2000 ouvrières perdaient connaissance. Vient ensuite la ville de Le Roy aux les États-Unis où, en 2011 et 2012 des pompom girls et autres élèves pratiquant une activité sportive à haut niveau ont été saisies de tics et convulsions. Enfin, en 2007 au Mexique, près de 600 adolescentes d’un pensionnat catholique ont perdu leur capacité à marcher droit.

Chaque cas constitue un espace clôt au cœur de l’exposition. Laia Abril met un point d’honneur à donner la parole aux victimes qu’elle fait ici résonner avec un ensemble de photographies mystérieuses illustrant leurs propos. Beaucoup racontent leur épuisement, leurs conditions de travail et de vie, le traitement subis. Toutes enduraient de fortes pressions, allant de la pression scolaire et sportive que vivaient les lycéennes américaines aux maltraitantes des jeunes pensionnaires mexicaines qui, si elles ne se conformaient pas aux règles établies par les religieuses, pouvaient être forcées de courir jusqu’à épuisement.

Au sortir de ces espaces, le visiteur est confronté à des citations imprimées en caractères rouges sur des photographies des victimes trouvées dans la presse : « Elles s’évanouissent à cause de leurs émotions » ; « les femmes peuvent être plus influençables que les hommes » ; «  on dirait presque qu’elles font semblant d’être malades » ; « les brebis galeuses doivent être éliminées »… Ces commentaires glaçants proviennent des directeurs de l’usine cambodgienne, d’un médecin, de la presse locale et d’une des nonnes du pensionnat mexicain. Face à une telle négation de ces femmes, l’on comprend que leur corps cède et que l’unique moyen de réponse puisse être la psychose.

Dans une dernière salle, Laia Abril nous laisse entrevoir une autre réponse : sur un grand écran des femmes manifestent, exprimant leur colère contre l’oppression dans un cri commun. Elles sont à bout, mais leur corps explose dans la révolte plutôt que la psychose. Peut-être un prochain chapitre à cette fondamentale histoire de la misogynie ?

 

Laia Abril – De l’hystérie de masse
Du 30 juin au 1er octobre 2023
Photo Elysée, Musée cantonale pour la photographie
Plateforme 10
Place de la Gare 17
1003 Lausanne – Suisse

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