Le photographe a eu carte blanche pour dresser le portrait des œuvres de l’Institut Giacometti à Paris. Une correspondance intime et secrète entre images, sculptures et gestes du créateur.
La photographie qui accueille le visiteur à l’entrée de l’Institut Giacometti – belle bâtisse art déco du début du XXème siècle – est une image complètement floue. Un flou évidemment désiré par le photographe qui a capturé un fragment de l’atelier du sculpteur. Ce flou dit combien il est émouvant et difficile d’approcher avec un autre regard l’œuvre de ce titan du XXème siècle, Alberto Giacometti. Peter Lindbergh s’en sort à merveille : il offre une vision personnelle et nouvelle dans laquelle le visiteur est convié au spectacle de la matière mouvante, vivante, comme si les statues du maître s’étaient mises à bouger. En témoigne cet extraordinaire triptyque représentant « L’Homme qui marche ». Le photographe a installé un tissu derrière la sculpture de telle façon que l’ombre, dans un élégant jeu de lumière, vienne s’y projeter et que le tissu l’absorbe. Cette série de trois photographies donne véritablement l’illusion que la figure représentée est en train de marcher. Mieux : elle confère une matité supplémentaire à l’œuvre, comme si un aspect des sculptures de Giacometti était ici révélé, leur ombre, leur part d’opacité.
« Jungle »
C’est ce que nous percevons davantage encore grâce aux grands formats que Peter Lindbergh a réalisé de statues de petite taille de Giacometti. Avec ses photographies, il vient appuyer sur les détails, met l’accent sur les coups de canif portés par le sculpteur, sur la forme décharnée des visages représentés qui nous fixent de leurs yeux d’une intensité grave et mélancolique. Le photographe parvient à saisir l’âme de ces œuvres, elles-mêmes habitées grâce au geste du sculpteur, et nous reviennent avec plus de force encore ces meurtrissures qui peuplent les visages, ces corps frêles et hâves, ces solitudes figées dans des silhouettes maigres. Peter Lindbergh s’évertue aussi à composer des rencontres entre les œuvres. Il place des statues aux dates de réalisation différentes, ce qu’il appelle « une jungle » de pièces de Giacometti, et en dresse des portraits magnifiques comme s’il faisait celui d’une famille.
Cri
À ces photographies réalisées entre 2017 et 2018 dans une totale liberté, le photographe a ajouté des clichés représentatifs de sa carrière de portraitiste et de photographe de mode au cabinet des arts graphiques de l’Institut, là où sont exposés des dessins de Giacometti. S’y mêlent les coups de crayon obsessionnels du sculpteur et les images de Peter Lindbergh, portraits de personnalités comme Julianne Moore, Nicole Kidman, Kate Moss, ou fragments de corps pris à la dérobée, nudité dévoilée par touche délicate. La rencontre entre les clichés de Lindbergh et les dessins de Giacometti – que le photographe a pu choisir pour l’exposition – marche merveilleusement bien. Il y a notamment cette série de visages que le sculpteur a dessinée négligemment sur un bout de papier et qui résonne parfaitement avec la photographie d’un groupe de modèles prise par Peter Lindbergh. Les deux savent si bien rendre compte de la solitude qu’on peut ressentir au milieu d’une foule, la correspondance des corps, le cri de l’âme.
Jean-Baptiste Gauvin
Peter Lindbergh
« Saisir l’invisible »
Du 22 janvier au 24 mars 2019 L’Institut Giacometti
5 Rue Victor Schoelcher, 75014 Paris