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Peter Lindbergh : Berlin, Éditions Louis Vuitton

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Synonyme d’art de voyager depuis 1854, Louis Vuitton continue d’ajouter des titres à sa série de livres, Fashion Eye. Chaque livre évoque une ville, une région ou un pays, vu à travers les yeux d’un photographe de mode.

En 2017, Les Éditions Louis Vuitton ont publié dans la collection Fashion Eye Berlin de Peter Lindbergh. L’ouvrage propose une succession un aperçu fragmentaire de l’esprit berlinois, depuis la chute du Mur jusqu’à 2012. Portraits, clichés de mode et vues à la sauvette se mêlent dans un savoureux désordre. Un « état de transit » où peut se lire une influence propre au photographe allemand, Vincent Van Gogh.

En 1944, Peter Lindbergh naît à Leszno. La ville allemande retourne à la Pologne un an plus tard. Lindbergh grandit dans l’Ouest allemand, à Duisbourg. Sa jeunesse plutôt placide s’agite lorsqu’il entre à l’Académie des Arts de Berlin, en 1960. Confronté à l’enseignement classique de l’Académie, il rêve de contrées lumineuses, d’un ailleurs ensoleillé. « Je préférais m’inspirer de Van Gogh, mon idole, plutôt que de peindre les portraits et les paysages imposés dans les écoles d’art » (1) ,analyse-t-il. Il dit à ses professeurs, « vous connaissez Van Gogh ? Je vais dans le sud de la France et je vais voir la lumière, c’est ça qui m’intéresse. » (2)

Lindbergh accomplit le grand voyage avec plus de facilité que le peintre néerlandais. Influencé par les peintures de Monticelli, de Signac, Van Gogh se rend en Provence à Arles (février 1888 à mai 1889), puis à Saint-Rémy-de-Provence (mai 1888 à mai 1889). Il pense retrouver dans la Camargue et les Alpilles une lumière douce. Van Gogh se défait progressivement d’un style sombre, grisailleux, influencé par l’École de Barbizon. Lindbergh s’inscrit dans ce voyage initiatique, quasiment mythologique. Il déménage à Arles — où il vit toujours — avant de poursuivre vers l’Espagne et l’Afrique du Nord.

À première vue, l’œuvre berlinoise de Lindbergh s’éloigne des tableaux colorés et empâtés de Van Gogh dans sa période provençale. D’autres objections subsistent. Lindbergh choisit presque naturellement le noir et blanc, tandis que Van Gogh se fait peu à peu subtile coloriste. Il se désintéressait des figures notables, préférant les petites gens, paysans, facteurs et connaissances, tandis que Lindbergh est connu pour ses commandes de mode et autres portraits de stars. Et surtout, les hautes touches de couleurs du peintre néerlandais n’ont rien à voir avec les photographies sombres de Lindberg. Et si Lindbergh se rapproche de Van Gogh, il faut envisager l’entière production du peintre flamand, et non sa seule période en Provence.

L’exercice peut donc sembler périlleux, et pourtant des rapprochements demeurent. Peindre à l’huile chez Van Gogh repose sur une technique vite esbroufée. Van Gogh peint rapidement, sur chevalet, qu’il soit devant son modèle, en intérieur, et plus rarement en extérieur, quand le temps le lui permet. Le temps de séchage de la peinture à l’huile l’agace. Par petites touches rapides, avec un trait légèrement allongé, les paysages de Van Gogh célèbrent paradoxalement le mouvement des impressions fugitives. Chez Lindbergh, on retrouve le même élan, la même vitesse dans l’exécution et dans cette volonté de saisir une scène à la sauvette. À ce titre, la photographie de la danseuse Nina Burri (Nina Burri, Sophiensaele, Berlin 2009) correspond avec l’éternelle Allées des peupliers de Van Gogh (1884, Nuenen).

Le photographe cherche « des visions fugitives » :tablées silencieuses et désertées tel qu’Exil Restaurant, Berlin 1898, comparable au Femme à table au café Le Tambourin de Van Gogh, 1887. Il dépeint Berlin en cartes postales brouillonnes (Berlin, 2009) où s’inscrivent en passant les monuments, brouillant les époques et les imaginaires, comme le faisait Van Gogh avec ses vues en coupe (Le restaurant de la Seine à Asnières et Le Restaurant Rispal à Asnières, peints tous les deux en 1887). Le Berlin de Lindbergh est un jeu avec ses se symboles, ses architectures rigides et superposées, ses graffitis pris à la sauvette. Un Berlin gris d’après-guerre froide, nocturne dans le béton du Trésor, troué par les éclairs de Dan Flavin. Le procédé est le même chez Van Gogh, malgré des résultats picturaux différents. Trouver les sources lumineuses, trancher la pénombre des bâtiments ou des monts, jouer des gris ou des bruns, et célébrer l’humain comme ses objets dans sa nature la plus commune.

Les portraits sont toutefois différemment envisagés chez Van Gogh et Lindbergh. Le peintre les aborde le plus souvent frontalement, se concentrant sur les visages marqués (Tête de paysan, 1884) avant d’élargir le cadre aux bustes (Portrait du postier Joseph Roulin, 1889). Seuls ses autoportraits demeurent de trois quarts. Mais surtout, la figure humaine devient chez Van Gogh un laboratoire des couleurs. Il joue principalement les associations primaires et les rehauts. Chez Lindbergh, les portraits capturent des fragments de corps (genoux, bouche pulpeuse, buste étriqué) ou enferment les mannequins dans des poses et des habits se jouant des époques. La figure humaine n’est jamais qu’une histoire de formes, de mouvements et de symboles, et jamais une histoire de couleurs. La comparaison avec Van Gogh est donc limitée. Elle est un jalon, un art partagé de la fugue.

Le livre Berlin des Éditions Louis Vuitton aborde les références de Peter Lindbergh comme des repères biographiques. Des citations disséminées ici ou la. Le lecteur pourra rechercher cet héritage, le supposer comme le refuser à travers les clichés fugitifs du photographe allemands. Le livre réussit à montrer le style de Lindbergh, agile et soudain, morcelés et puissant.

Arthur Dayras

(1) Peter Lindbergh, cité dans Revenir à Berlin, Sylvie Lécallier, in Berlin, Éditions Louis Vuitton, collec. Fashion Eye, 2017, Paris.

(2) Ibid.

 

https://fr.louisvuitton.com

https://us.louisvuitton.com/eng-us/lv-now/art-travel

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