Il n’y a rien de lisse chez Peter Hujar, à part la surface des épreuves argentiques visibles actuellement au Musée du Jeu de Paume.
Comme Diane Arbus et Robert Mapplethorpe, entre lesquelles on classe souvent son œuvre, son terrain de chasse est New York. Formé à la photographie de mode (il a été l’assistanat de Richard Avedon, entre autres), il entame une carrière indépendante en 1967. Mais son cœur est voué à son art. Influencé par le cadrage sévère de Lisette Model, il déploie ses talents de portraitiste, saisissant la faune underground du East Village avec force et douceur. Alors qu’Arbus choisit ses personnages au hasard, et que Mapplethorpe, déjà établi, assouvit les commandes de célébrités, Hujar photographie les gens « qui osent » : de Susan Sontag (qui signe l’introduction de l’unique monographie publié de son vivant : « Pictures in Life and Death », 1976), à son amant, l’artiste David Wojnarowicz, en passant par les drags queens et autre marginaux de son entourage. Chaque sujet est traité avec empathie et respect. À travers la composition, un regard, un geste, les visages et corps de ses sujets expriment l’intensité immuable d’exister. Son galeriste, Marcuse Pfeifer note que l’artiste utilise le « mode du portrait couché, quelque chose de rarement vu en photographie, plutôt employé en peinture ou en sculpture, toutes périodes confondus. » Il continue d’expliquer que les sujets d’Hujar ont « l’air au repos tout en étant présent » et qu’ils « ont baissé leur garde, révélant leur vulnérabilité et leur fragilité. »(1) C’est cette proximité et cette complicité qui fait toute la force des portraits d’Hujar. Loin de l’anonymat des personnages d’Arbus ou de l’artifice formel de Mapplethorpe, Hujar cherche (et trouve) une justesse qui rend ses sujets plus proche du spectateur. Sa maitrise de la lumière rappelle souvent le cinéma (Hujar aspirait à une carrière de réalisateur dans les années 1960). Ses paysages et portraits d’animaux de ferme démontrent aussi une recherche dans la composition et la proximité émotionnelle de ses sujets.
Solitaire, exigeant avec lui même, ne sachant « se vendre », l’artiste tarde à se faire connaître et s’exposer. A sa mort en 1987 (de complications liées au SIDA), il n’a qu’un livre et un catalogue à son nom.
Dans un entretient, Hujar s’explique : « Je considère mes photographies comme des morceaux de papier qui ont leur propre vie. Toute l’histoire doit être sur ce bout de papier. C’est étonnant que les photographies aient autant de pouvoir. » (2) Le pouvoir que possède encore ses photographies aujourd’hui est un testament du talent sans compromis de Peter Hujar et sa capacité à faire ressortir ce qu’il y a de plus humain : l’expression du désir de vivre, en sachant que la mort nous guette tous.
Christophe Lunn
Peter HUJAR « Speed of Life » (La vie à toute vitesse), commissariat de Joel Smith et Quentin Bajac.
Musée du Jeu de Paume, Paris, jusqu’au 19 janvier 2020
Un catalogue, avec une introduction de Joel Smith, a été publié à l’occasion de l’exposition.
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(1) Walsh, Naylor, Held, « Contemporary Photographers » (MacMillan, 1982), p. 363
(2) Ibid, p. 364