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Peter Hujar, Lavinia Co-op, 1980

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L’exposition sur Peter Hujar à la fondation MAPFRE de Barcelone (« Peter Hujar: Speed of Life ») constitue la rétrospective la plus complète à ce jour du travail du photographe américain, avec plus de 150 photos correspondant à une période allant des années 50 aux années 80. À l’occasion de cet événement exceptionnel, L’Œil de la photographie vous invite à découvrir la fascinante histoire à l’origine d’une image célèbre, Lavinia Co-op, d’après le nom d’un danseur.

En 1980, la compagnie britannique Bloolips passa une journée au loft de Peter Hujar, qui lui servait également de studio, au croisement de Twelfth Street et Second Avenue, à New York, pour faire des portraits. La troupe transformiste, composée de six membres, était en ville pour jouer leur spectacle Lust in Space au Theatre for a New City, établi dans une ancienne église à deux pâtés de maisons de là.

Peter Hujar était fasciné par le portrait de groupe en tant que genre – pour ne pas dire qu’il le pratiquait comme un sport. Les tensions psychologiques à l’œuvre entre l’individu et le collectif, entre le conformisme et l’introspection, l’engagement et le détachement, représentaient des défis très importants pour le portraitiste. Mais très vite il se rendit compte que son travail avec Bloolips n’aboutissait à rien de satisfaisant à ses yeux. Comme on peut le voir sur cinq planches contact, les six membres de la troupe sont totalement restés dans leurs rôles ce jour-là, jouant entre eux et avec l’objectif comme le collectif au numéro déjanté qu’ils étaient, bien rodé et performant. Ainsi que l’a raconté plus tard la meneuse des Bloolips, Bette Bourne, Hujar n’a pas dissimulé sa déception devant ce qu’un photographe publicitaire aurait considéré comme une séance réussie.

Lorsqu’il s’est concentré sur les acteurs de façon individuelle, Hujar a alors trouvé ce qu’il recherchait avec le danseur Lavinia Co-op, membre des Bloolips depuis leur création en 1977. Dans la prise de vue que Hujar a décidé de réaliser, on voit Lavinia assis contre le dos d’une chaise en bois – élément qui constitue le principal accessoire utilisé dans les portraits du photographe. Plus tard, son ami Vince Aletti témoignera du fait que l’artiste, pris d’un accès de colère, a fracassé un jour cette chaise sur le sol du studio. Le visage de Lavinia est tourné vers l’objectif, la joue posée sur son poing, et ses cheveux, ramassés en queue de cheval sur le dessus de sa tête, retombent sur son oreille. Le liseré blanc sur le col et la manche de son polo de marin sombre accentue le côté naturel de la pose.

Hujar a utilisé des pellicules entières pour photographier les autres membres de Bloolips, alors qu’il n’a fait que sept portraits de Lavinia. Comme s’il avait compris qu’il avait déjà obtenu tout ce qu’il pouvait souhaiter. Lavinia Co-op est une image étrange, et il n’est pas aisé de décrire cette étrangeté. Au premier abord, il est tentant de souligner les marques de la confusion des genres : Lavinia avait des allures de gamine avec sa silhouette mince, mais dans cette pose, ses traits, évoquent simplement une masculinité que viennent contredire son regard maquillé et sa coiffure désinvolte. Pour ceux qui ont réellement connu Lavinia,  il est cependant clair que ce que Hujar a capté est précisément ce que le personnage du danseur voulait montrer : au-delà d’un mélange des marques conventionnelles du genre, il existe une forme de beauté indifférente à cette notion. On peut évoquer la beauté asexuée d’un oiseau ou d’un tigre, qui prend ici forme humaine.

Au sein de Bloolips, se souvient Lavinia : « Le travestissement était assez radical, certaines choses “ne se faisaient pas”… il ne s’agissait pas d’imiter des femmes [mais] de laisser s’exprimer son côté androgyne… Développer quelque chose qui échappe au stéréotype… Partir du travestissement pour ouvrir une porte vers autre chose… Pour trouver une autre voie. » Et dans ce bref dialogue visuel entre l’artiste et la muse, le public ressent lui aussi cette autre voie.

Joel Smith

Joel Smith est le commissaire d’expositions de photographie de la Morgan Library & Museum de New York.

 

Peter Hujar : Speed of Life
Du 27 janvier au 30 avril 2017
MAPFRE Foundation
Carrer de la Diputació, 250
08007 Barcelone
Espagne
 
www.fundacionmapfre.org

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