L’exposition Peter Hujar : Speed of Life à la Morgan Library, à New York, présente de magnifiques photographies de ce photographe américain influent, icône de l’underground new-yorkais des années 1970-1980 et d’une génération perdue d’artistes décédés du Sida. A l’époque et même depuis les années 1950, le bas de Manhattan – que l’on appelle downtown – est une pépinière de talents. Peter Hujar, connu pour ces portraits d’intellectuels et d’artistes tels que Susan Sontag, Andy Warhol ou le sous-estimé David Wojnarowicz, est un photographe de son quotidien et de son quartier. « Rencontrer Peter Hujar n’était pas difficile », écrit dans l’introduction du catalogue Joel Smith, commissaire d’exposition à la Morgan Library & Museum de New York. « Tout le monde dans l’East Village, semble-t-il, le connaissait de vue ou s’était assis à un moment donné à la table bleue de la cuisine dans son loft de la douzième rue. Il était un lien entre divers cercles artistiques, dans tout New York, qui ne se rencontraient pas autrement. Mais Hujar était difficile à connaître de près, à convaincre ou à dissuader. Difficile à sauver de la solitude, des euphories, de l’autopunition, du fatalisme, de la rage ».
Trituré et introverti, Peter Hujar, mort en 1987, vient aujourd’hui sur le devant de la scène mais a longtemps été oublié. Du grand public, il n’était du reste pas plus célèbre de son vivant, refusant l’autopromotion. Mais il demeurait une légende urbaine. Sa personnalité se ressent ainsi sensiblement dans ses photographies, à la fois douces, suggestives, expérimentales, mélancoliques. L’exposition contient 140 photographies, et c’est bien plus que ce que l’on connaît communément de lui. S’y mêlent portraits d’hommes et de femmes, d’animaux, de bébés, vues architecturales, scènes de rues, paysages reposants, détails perturbants, mises en scènes loufoque, ou photos de voyages, dans une atmosphère à rendre ces pages délicates. De nombreux portraits y suggèrent la tendresse que Peter Hujar avait pour ses sujets et les choses en général. D’autres images nous interpellent fortement. Si bien que l’on y traverse divers et profonds sentiments. On est assurément dans une photographie de l’intimité et dans le courant qui regroupe Larry Clark, Nan Goldin et bien d’autres.
En même temps que l’exposition à la Morgan Library parait un autre livre, intitulé Peter Hujar: Lost Downtown, qui lui rassemble une quinzaine de portraits de ces artistes formant à l’époque une formidable communauté de malchanceux venus des quatre coins des Etats-Unis et rassemblés entre les rues de Broadway et Bowery. A travers leurs regards: rien que du talent, de la flamboyance, de la moquerie et de l’ultime ironie. En ces jours, les rues éventrées du Lower East Side ressemblaient ainsi à une zone de guerre, comme le raconte l’auteur Vince Aletti, journaliste réputé et ami d’Hujar.
L’extrême sensibilité de Peter Hujar semble être à l’origine de la comparaison qui est faite entre sa photographie et celle de Robert Mapplethorpe. Tous deux sont homosexuels, new-yorkais et morts du HIV. L’exposition apporte néanmoins une nuance à cette confrontation aisée : elle renferme un certain nombre d’images qui prouvent que Peter Hujar, lui aussi, savait manier l’esthétisme. Même si cette étiquette d’artiste maudit lui collera probablement toujours à la peau, cet ensemble d’images, la première grande rétrospective qui lui est consacrée, apporte un regard neuf sur un personnage à la fois complexe et attachant.
Jonas Cuénin
Peter Hujar, Speed of Life
Du 26 janvier au 20 mai 2018
Morgan Library and Museum
225 Madison Ave
New York, NY 10016
Etats-Unis
Peter Hujar: Lost Downtown
Publié par Steidl, textes de Vince Aletti
$30