L’édition 2021 de Paris Photo a connu un petit événement, qui tient autant de la prouesse technologique que de la fascination pour une œuvre.
L’artiste Mona Schulzek et l’imprimeur photographique Whitewall ont présenté le plus grand tirage jamais montré lors de la foire parisienne. Un « Masterprint » de 320 x 240 cm. L’Œil de la Photographie a rencontré l’artiste et Alexander Nieswandter, fondateur et directeur de Whitewall. Ces « Masterprint » peuvent même couvrir une largeur plus grande, allant jusqu’à 500 x 240 cm. Une grandeur qui ne déroge aucunement à la qualité du tirage.
Mona Schulzek
Arthur Dayras (A.D.) : Mona, comment est advenue la série « Ottomane » ?
Mona Schulzek (M.S.) : L’idée était d’aborder une pièce dans son aspect sculptural, de la traiter et de la voir comme une sculpture, comme si c’était un morceau de bois, un morceau de pierre. L’œuvre montre une salle emplie de tapis persans. Quand le regardeur s’avère loin de l’image, il voit un collage de tons. Et quand il s’approche, il voit des tapis persans, différents, tout un patchwork. Et lentement, il découvre la pièce. L’image est fondée sur un principe sculptural. Vous regardez l’image de la même manière que vous pourriez explorer une sculpture sous différentes coutures.
A. D. : C’est ainsi un jeu sur la sculpture, sur l’espace et sur le collage.
M. S. : C’est vrai. Un jeu avec toutes ces incertitudes… Pour moi, cette image offre la même chance que de regarder le ciel, de regarder l’univers dans toutes ses incertitudes.
A. D. : Le cosmos est un élément-clé dans votre travail, avec notamment l’une de vos séries, « Outer Space Transmitter ».
M. S. : La série « Outer Space Transmitter » est conçue comme une antenne, où des messages peuvent être envoyés dans l’espace. Ces messages sont principalement des images d’art, comme des images-textes, qui diffèrent des communications verbales qui ont été envoyées précédemment dans l’espace. Le processus commence par un message que l’on peut écrire. Je transforme ce message en un alphabet extraterrestre que j’ai conçu moi-même, puis je construis une image.
A. D. : Comment avez-vous créé l’alphabet ?
M. S. : Je l’ai inventé moi-même.
A. D. : Cela me fait penser à Galaxia Wang, un artiste qui a également créé son propre alphabet et son propre langage, appelé Colossia, et qui a, plus largement, inventé toute une cosmogonie. Dans son cas, Colossia lui permet d’appréhender et d’exprimer sa perception synesthésique du monde en combinant des couleurs, des odeurs, des sentiments ou même des visages dans une codification qui lui est propre.
M. S. : Communiquer avec un langage différent qui ne pouvait pas être simplement parlé était l’idée principale de cette photographie. Il s’agissait d’exprimer l’odeur de la pièce, des tapisseries, ou si l’on préfère, le langage propre aux ornements. Je crois qu’il y a des histoires cachées dans ces objets.
A. D. : L’image peut aussi être vue à travers le prisme de l’espace. Le plafond par exemple est d’une certaine manière assez difficile à appréhender à cause de la superposition des tapis. L’espace semble brisé par cette superposition de tapis.
M. S. : Oui, je considère ce tableau comme étant en apesanteur. Où est le plafond ? Où est le sol ? Je vous raconte une histoire amusante dans un musée où j’ai présenté ce tableau. Le conservateur a mis l’œuvre à l’envers, j’ai dit « oh oui, ça a l’air super, mais c’est inversé ». Mon professeur à l’académie Ecodesign m’a toujours dit « une bonne image est une image que vous pouvez voir et travailler de tous les côtés ». Peu importe comment vous la tournez, elle restera une bonne photo.
A.D. : Aviez-vous des références en tête en abordant cette image, comme des artistes de la photographie conceptuelle ?
M. S. : J’ai été davantage inspiré par la recherche scientifique, par des travaux principalement issues de la NASA. Les images du télescope spatial Hubble permettent par exemple, de mieux comprendre le passé du cosmos et cela influence mon travail sur l’espace.
A.D. : Comment ces recherches vous ont-elles conduit à une approche conceptuelle de l’espace et comment reliez-vous l’espace extra-atmosphérique à des éléments traditionnels comme les tapis persans ?
M.S. : Les tapis représentent l’image d’un jardin persan traditionnel. Il est embelli par des fleurs représentant les quatre parties du monde, qui entourent un centre avec un étang et une fontaine. Le jardin est donc un tapis où le monde entier atteint sa perfection symbolique, et le tapis est une sorte de jardin qui peut être déplacé dans l’espace. Cette idée vient de Michel Foucault. Elle m’apprend que le jardin est la plus petite parcelle de terre du monde et qu’ensuite, vient la totalité du monde.
Whitewall
L’imprimerie photographique Whitewall a été créé en 2007 par Alexander Wieswandter. L’imprimerie s’est immédiatement spécialisé dans la photographie haut de gamme. L’entreprise et ses ateliers sont installés à Frechen, en Allemagne, avant d’ouvrir des boutiques en Allemagne, en France ou même outre-Atlantique. Whitewall compte aujourd’hui 180 collaborateurs et travaille avec des photographes, musées, galeries du monde entier. L’entreprise a été primée 4 fois meilleur laboratoire photographque par la Technical Image Press Association (TIPA).
Ce que Whitewall appelle « Masterprint » repose sur une impression photographique sur verre acrylique. L’imprimante développée par Nieswandt et ses ingénieurs demeure une machine unique dans le monde, la seule capable d’imprimer un tirage de qualité irréprochage dans des formats aussi grands.
A.D. Alexander, racontez-nous l’histoire de ce « Masterprint ».
Alexander Nieswandt (A. N.) : Pour les galeries, les musées, les artistes, nous avons senti un grand désir pour de très grands tirages d’art. Il était impossible d’imprimer une très grande photo sans passer par un collage, sans faire une composition de différentes images, en haute qualité, que nous avons appelé « C-Print ». Une très grande image imprimée au laser sur du papier photographique, avec les bons produits chimiques, n’existait tout simplement pas. C’est pourquoi nous avons décidé de la créer et avons développé un nouveau système d’impression. Nous avons engagé plusieurs techniciens et ingénieurs à qui nous avons dit : « Nous avons besoin d’une grande imprimante, beaucoup plus grande que la norme actuelle ». Il nous a fallu trois ans pour atteindre l’objectif. Mais l’effort en valait la peine. Aujourd’hui, nous présentons une révolution technologique avec une méthode de production unique. Notre Masterprint perfectionne la production de photographies dans des dimensions jusqu’alors inimaginables, jusqu’à 500 cm x 240 cm, imprimées et laminées sans couture sous verre acrylique. Il s’agit de la première et unique imprimante d’art à base d’encre pigmentaire capable d’imprimer jusqu’à 240 cm de large. Le résultat est une impression d’art haute résolution qui offre des détails étonnants grâce aux encres pigmentaires authentiques d’Epson. Nous avons créé une révolution absolue dans l’industrie photographique.
A. D. : Le projet que vous avez réalisé avec Mona Schulzek était une commande de Whitewall à l’artiste, n’est-ce pas ?
A. N. : Oui, nous sommes très heureux de la collaboration avec Mona. Son œuvre de la série « Ottomane » est prédestinée pour notre impression de référence. Mona nous a envoyé ses données d’image et notre Professional Art Service s’est occupé de tout. Avec une telle œuvre d’art, de nombreux arrangements, contrôles de qualité et quelques tirages d’essai sont nécessaires. Elle nous a également rendu visite à Frechen pour se faire une idée de notre laboratoire. Et à la fin, cette superbe impression est sortie. C’est une vraie satisfaction.
A. D. : Êtes-vous touchés par la crise actuelle du papier ? Celle-ci impacte de très nombreux tireurs et laboratoires et freine la production d’images.
A. N. : Si les fabricants ne peuvent plus fournir de papier, nous sommes bien sûr aussi concernés. Aujourd’hui, il y a une pénurie de papier pour tout le monde. C’est pourquoi nous avons pris des précautions et avons déjà commandé du papier pour deux ans.