Philippe Chancel a mené durant quinze ans une exploration de sites sensibles sur notre planète, pour ausculter le monde et observer les symptômes les plus alarmants de son déclin. Faire œuvre de telle manière ne correspond à aucun genre identifié dans les pratiques photographiques. C’est pourquoi DATAZONE est une invention qui parvient à englober les signes les plus tangibles de la catastrophe annoncée : écologie traumatique, désindustrialisation chaotique, revers toxiques de la modernisation. De la Chine aux États- unis, en passant par l’Afrique et l’Europe, c’est le monde entier qui hurle à nos yeux. Et aucun refuge n’est en vue.
Plutôt qu’un manifeste, les 14 sites photographiés évoquent une épopée digne du Don Quichotte de Cervantes. La lutte contre l’absurde forme ainsi une fresque légendaire : la nôtre. Que peut l’image lorsque l’information n’est plus de mise ? C’est ce “trop tard” qui forme le socle de DATAZONE, et de l’avenir des ruines dont il est question. La mondialisation est une civilisation sans soleil, les hommes y survivent en attendant l’apocalypse, les régimes politiques les privant de tout recours.
Philippe Chancel est un photographe classique, ce qu’il construit nous confirme que le monde moderne n’a pas tenu ses promesses. C’est par l’assemblage des images qui témoignent d’une profonde sensibilité au monde que peut se constituer un grand récit. L’avancée vers le précipice contient la tentative euphorique d’un rebond. La beauté des images semble dérisoire, mais il ne reste plus que l’esthétique pour reprendre goût à la vie. La beauté malade de notre époque accouche de DATAZONE.
L’exposition invite au vertige et permet, espérons-le, de reprendre pieds. Imaginons maintenant que nous venons d’une époque ancienne et que DATAZONE montre notre avenir : nous pourrions remercier le photographe de nous avoir avertis, et changer le cours de l’histoire.
Mais c’est impossible.
Jusqu’à present.
Michel Poivert
Paris Photo 2019
Novembre 7–10, 2019
Grand Palais Paris