Shoji Ueda est un artiste majeur de la photographie japonaise, dont l’œuvre a rapidement connu un retentissement international. Ses compositions, inventives et pleines de charme, sont à part dans l’histoire de a photographie, détachées des modes et des mouvements artistiques, purs produits de son esprit ludique et de son imagination fertile. Dans les dunes, chères à son cœur, de sa région natale de Tottori, mais également dans les rues de son village ou chez lui, il crée toujours, guidé par sa vision unique et son insatiable curiosité, des images à l’esthétique frappante, oniriques et d’un humour bienveillant.
Auprès de sa famille posant pour lui, d’enfants des écoles environnantes, de mannequins dans les années 1980, il orchestre des compositions surprenantes, à la fois graphique et très poétique. Le modèle, en soi, compte moins que la silhouette, le contraste, la construction de l’image, l’incongruité des objets et des corps. De même, au sein de son atelier, dans le creux d’une petite boite, il arrange et coordonne ses objets, bouts de bois et coquillages ramassés sur le sable, objets du quotidien, ou fruits et légumes. A ces objets, tout comme aux portraits de ses proches ou aux photographies de mode, il confère la même tonalité « surréalisante », faisant naitre la poésie des détails quotidiens, en marge de la tendance documentaire du Japon de son époque. Dans ses photographies, même les objets, ainsi, acquièrent quelque chose d’humain et de comique, personnages intégrés à son monde, et regardant le spectateur avec une douce ironie.
En effet, une part importante de l’œuvre de Shoji Ueda réside dans son originalité assumée par rapport aux tendances et aux mouvements artistiques de son époque. Isolé dans sa région natale, il crée en se coupant des agences tokyoïtes et de la production artistique des grands centres de création japonais et mondiaux, n’ayant accès à des magazines sur la photographie que très rarement – notamment un exemplaire du journal suisse Modern Photography au début de sa carrière, induisant un intérêt de courte durée pour l’avant-garde surréaliste. Il produit ainsi des images atypiques, dans cette région surnommée San’in (dans l’ombre de la montagne) – dans l’ombre de Tokyo. L’atmosphère si particulière de la région, avec une lumière de bord de mer, des ciels nuageux et mélancoliques, est la toile de fond de Ueda, dont il imprègne ses photographies, en tirant des gris subtils et lumineux.
Accompagnant son traitement de la lumière, évidemment, on ne peut passer outre la dune, immense étendue de sable qui semble luminescente tant elle reflète la clarté du ciel, et dont Ueda se sert comme de la toile immaculée accueillant les projections de son imagination. « La dune est un paysage naturellement photographique. La nature réduite à un fond uni. Franchement, je ne crois pas qu’un photographe puisse rêver mieux qu’une dune. » Ces dunes qu’il utilise comme atelier lui permettent de simplifier au maximum l’arrière-plan, faisant ressortir le sujet, dans une esthétique précise fondée sur le dépouillement. La lumière si particulière trace ainsi des contours nets, qui concentrent le regard sur l’essentiel.
Par ses photographies évocatives, au sobre raffinement tout en retenue, il tente de montrer ce que l’œil ne voit pas habituellement, « La photographie est pour moi un art de représentation dans tous les sens du terme. Ma touche est d’intervenir et de concevoir sur place mon univers personnel. Montrer les choses telles qu’elles apparaissent à la plupart des gens ne m’intéresse plus aujourd’hui. Je leur laisse le monde documentaire et il m’importe d’essayer de leur suggérer qu’on peut voir autrement. » Il aménage ainsi la réalité, dans un désir d’assumer le caractère théâtral de la photographie, qui est toujours une mise en scène de la réalité dans le viseur. « J’aime bien que l’on sente une légère intervention du photographe dans les images. »
Son regard d’une grande sincérité crée ainsi un dialogue complice avec le monde ; ses modèles d’une grande présence interpellent le spectateur, dans un regard assumé vers la caméra. Au théâtre d’objets s’ajoute le théâtre de marionnettes dans les dunes. Captant la simplicité du geste, son œuvre tend vers une harmonie essentielle entre les éléments, et aspire à rendre compte d’un temps suspendu, de calmes « mémoires silencieuses ». Cet univers décalé déjouant nos conventions visuelles, cette poésie du quotidien totalement personnelle, ce questionnement du temps qui met à distance le sujet en le rendant intemporel, cette universalité de l’humour et de la tendresse, il les fabrique avec une grande modestie, ne se considérant pas comme un photographe professionnel, mais un « photographe sérieux ».
Cette revendication de son statut d’amateur – notamment auprès des clubs amateurs de photographie –l’a également dispensé d’explications ou de manifestes, lui laissant une totale liberté de ton, et n’entachant pas ce qu’il considère comme une passion quotidienne qui est à la fois toute sa vie et dans laquelle il inscrit toute sa vie. Très rapidement propriétaire d’un magasin de matériel photographique, cette façade professionnelle banale cache en réalité un esprit d’une inventivité et d’une liberté incomparables. Dans son monde unique, fait de fantaisie, d’un sens aigu de l’observation, d’une certaine rigueur formelle, il déploie un humanisme doux, un sens unique de la communication –qui lui permet de se lier avec les nombreux enfants qu’il a photographiés, ainsi qu’une généreuse empathie envers le monde et les modèles qu’il en tire. Cette sensibilité, alliée à une vision épurée et synthétique, confèrent à son œuvre une fraîcheur toujours renouvelée, à l’instar de son regard d’enfant qui invente un univers en transcendant les bribes du quotidien le plus anodin.
Shoji Ueda – SAGE Paris, Stand C30
A Paris Photo 2016
Du 10 au 13 novembre 2016
Grand Palais
Paris, France