Milan rend hommage à Ferdinando Scianna avec une grande exposition anthologique au Palazzo Reale, Viaggio, Racconto, Memoria (Voyage, Conte, Mémoire), organisée par Paola Bergna, Denis Curti et Alberto Bianda.
Plus de 200 images en noir et blanc résument le parcours narratif du photographe sicilien, seul italien à faire partie de Magnum, la célèbre agence parisienne fondée par Henri Cartier-Bresson, Robert Capa, David Seymour et George Rodger. L’exposition comprend une section consacrée à Leonardo Sciascia, considéré par Scianna comme un «père, un mentor, un enseignant». Scianna, membre de Pen Italia, collabore au trimestriel de l’association depuis son premier numéro.
Un fils pour Sciascia par Franco Marcoaldi
Je repense aux centaines, aux milliers de photos prises par Ferdinando Scianna au cours de sa vie, seulement partiellement rassemblées dans un nombre de livres qui est d’ailleurs aujourd’hui très important. Et je suis étonné : combien cet homme a-t-il travaillé ? Et je me demande : quel démon intérieur irrésistible l’a entraîné aux quatre coins de la planète pour photographier des êtres humains, des animaux, des fêtes, des paysages ? Que cherchait-il et qu’a-t-il trouvé ? Écrire avec la lumière, je dirais, il a photographié la vie dans son ensemble. À l’extérieur, sous le ciel, ainsi que dans tous les coins et recoins possibles. Et il a fini par esquisser un seul grand « livre de l’œil », un monde du travail composé d’innombrables chapitres, avec des instantanés qui peuvent aussi resurgir dans des contextes totalement différents, prenant soudain une physionomie complètement nouvelle par rapport à celle qui était C’est pourquoi son œuvre ne peut être considérée comme un dictionnaire complet, ce n’est pas une encyclopédie universelle des images : c’est plutôt un opéra ouvert, un puzzle en perpétuel progrès, qui théoriquement peut ne jamais finir. une métamorphose, en fait, Scianna raconte la véritable quintessence de la vie, en soi insaisissable, dans le changement incessant de ses formes.
Mais ça pourrait aussi, procédant par échos et affinités, définir son œuvre pluridécennale comme une sorte de « poème scientifique », à la manière de Canetti, puisque l’abandon au rythme arcanique du souffle universel coexiste en lui avec un attachement spasmodique au logos, au rapport. Ou plutôt, ce qu’il en reste : une sorte d’illumination blessée, en somme blessé, mais toujours pleinement vital. Et comment pourrait-il en être autrement, étant donné que son premier et inoubliable professeur était et reste Leonardo Sciascia ? Oui, je regarde et considère les livres de Scianna avec enthousiasme et émerveillement. Je m’attarde nonchalamment sur telle ou telle image. L’une plus puissante que l’autre. L’une plus évocatrice que l’autre. Et l’admiration pour un incroyable talent photographique, aujourd’hui unanimement reconnu, se mêle à une subtile envie pour ceux qui, comme lui, peuvent saisir le punctum de chaque histoire, de chaque espace spécifique, de chaque figure individuelle, sans avoir besoin de se sentir enlisé dans les mille ambiguïtés illusoires du langage verbal ; envie pour ceux qui, se fiant entièrement à l’œil, ne connaissent pas la douloureuse séparation d’avec la réalité que connaissent ceux qui sont obligés d’utiliser les mots. Et c’est encore vivre ainsi, la seule vraie joie qui nous ait été donnée : celle du kairos, du mystérieux moment heureux où « moi » et « monde » se rejoignent enfin. Mais voici, pour compliquer encore les choses, l’émergence de l’envers, longtemps tenu dans l’ombre, mais aujourd’hui éclairci, de la personnalité de Ferdinando : Scianna est aussi un « écrivain ». Oui, un écrivain à part entière. Car les textes, qui accompagnent de plus en plus souvent les images de ses livres, ne sont pas du tout de simples légendes, mais ils ont une vie propre. Mieux encore : selon les règles d’un procédé raffiné, analogique et non pas simplement didactique, ces textes rebondissent sur les photos, leur donnant une force supplémentaire et inattendue.L’agitation caractérielle de Scianna l’a évidemment emporté.La satisfaction pour un kairos obtenu en s’appuyant exclusivement sur l’œil, et qui pousse à envier ceux qui essaient laborieusement d’écrire des vers, n’était évidemment pas suffisante . Le punctum a dû être appréhendé en suivant d’autres voies, en s’appuyant sur d’autres formes d’expressions. J’aime à penser que Scianna vit dans ce monde réel depuis un certain temps maintenant et fait face à une « double contrainte ». » Je veux dire que l’impulsion à l’écriture verbale, pour lui, n’est pas un jeu, un caprice. Encore un exercice de talent. Elle fait désormais partie intégrante de sa personnalité d’artiste. Du moins depuis l’époque de son formidable Visti&Scritti (Vu et écrit). Je le sais par expérience personnelle. Il y a quelques années, avec Ferdinando, j’ai publié, aux éditions Contrasto, un livre de photos et de poèmes sur les animaux dont je suis fier. En théorie, j’aurais dû m’occuper des textes (le mien et d’autres auteurs), lui des images (tout de lui). Mais les choses, Dieu le voulant, se sont déroulées différemment. Son rôle dans la sphère textuelle a obtenu un résultat décisif. Pas seulement grâce à la belle note de lui, qui clôt le volume.
François Marcoaldi
Ferdinando Scianna : Viaggio, Racconto, Memoria (Voyage, Conte, Mémoire)
Jusqu’au 5 juin 2022
Palazzo Reale
Piazza del Duomo 12
20122 Milano MI, Italy
www.palazzorealemilano.it
Catalogue édité par Marsilio.