Dans la biennale de photographie à Moscou, Pieter Hugo se distingue de ses confrères par un sujet puissant : la hyène. Son aspect monstrueux, méconnu. Sa domestication. Son utilisation mercantile. Le tout dans un contexte africain, à la frange de la société, à la limite entre l’urbain et le rural. Un thème très fort, offrant un vif contraste avec une biennale dominée par des sujets un peu futiles du type « je photographie mes copines bourrées » ou « je photographie l’Amérique à travers le rétroviseur de ma bagnole », ou encore « je photographie ma moto dans des décors changeants ». Pieter Hugo a trouvé un sujet comme en rêvent tous les journalistes : unique, à la fois extraordinaire et un peu improbable, par là même fascinant. Des images tellement curieuses qu’elles appellent une histoire, un texte, une narration.
Pieter Hugo, 36 ans, Sud Africain blanc, spécialisé dans la photographie documentaire, le portrait, sillonne l’Afrique Subsaharienne. Au cours de ses pérégrinations, il découvre une troupe de saltimbanques nigériens dont la particularité est d’avoir réussit à domestiquer trois hyènes, qu’ils utilisent dans leurs spectacles de rue. La hyène fait vivre ces hommes. Captivé par cette histoire, Pieter Hugo décide en 2005 de suivre leur « tournée », mais abandonne le projet de photographier le spectacle, pour lequel il ne trouve « aucun intérêt ». A la place, il fera des portraits lors de deux séjours entre 2005 et 2007. La troupe compte plusieurs hommes, une petite fille, trois hyènes, quatre babouins et quelques pythons.
Les images vous sautent à la gueule. Chacun des grands tirages, une vingtaine au total, reste coincé dans la mémoire. Nul doute que la fascination un peu sordide vient de l’aspect hideux et terrifiant de la hyène. Animal détesté parce qu’il se repaît de cadavres, craint pour sa taille et sa puissance, la hyène répugne à ce point à l’homme que son apparence même nous est pratiquement inconnue. Pieter Hugo nous montre l’animal comme nous ne l’avons jamais vu et encore moins imaginée, posant en compagnie d’hommes, en gros plan et dans un décor semi-urbain. L’art du photographe consiste à fabriquer des images épiques où ressort toute l’étrangeté de l’Afrique contemporaine. Une hybridation de la sauvagerie et de l’apprivoisé, du béton et de la brousse, de l’ancestral et du post-apocalyptique. On est presque au cœur des ténèbres.
Emmanuel Grynszpan
Jusqu’au 15 avril
Multimedia Art Museum, Moscow
Ostozhenka, 16
Moscou, Russie