La galerie Pobeda (« Victoire ») fête ses 5 ans. Avec un jeune photographe, dont c’est la première exposition personnelle. Pourquoi lui ? « Un peu par hasard, c’est un concours de circonstances » me confie Nastia, qui assure la com de la galerie. « Ca tombait bien ». Pas de doute. Jamais je n’ai vu Pobeda aussi bondée de jeunes gens survoltés. Ça déborde dehors, dans la rue, pourtant sombre, froide et enneigée. L’escalier menant à la galerie, tout aussi encombré de corps, est nimbée d’une lueur rouge comme si on arrivait dans un bordel. Impression trompeuse, car les murs de Pobeda sont toujours blancs comme ceux d’une clinique. La musique pulse comme dans une boîte, et les gens sont serrés comme des sardines dans les trois salles. Pratiquement personne ne regarde les photos. Les invités sont captivés les uns par les autres, trop compressés pour se mouvoir latéralement le long des murs ou pour prendre de la distance par rapport aux clichés. Après tout, la faune des vernissages est un peu particulière, surtout celle d’Alexey Kiselev. Beaucoup de belles filles aux longues jambes trahissant une longue fréquentation du milieu de la mode par le photographe. Mais ne célèbre-t-on pas également les 5 ans de Pobeda ? « Kiselev fête aussi son anniversaire aujourd’hui » me glisse-t-on. Je comprends mieux cette forte concentration de « beautiful people » et cette longue table servant du champagne et derrière laquelle s’est installé un DJ balançant de la musique rétro-funky-globale. Mais j’ai envie d’eau minérale, ce soir, et pas de champagne. Alors je longe les murs, décidé envers et contre tous, à faire mon boulot.
Kiselev, qui fête donc ses 36 ans, photographie ses amis, qu’il a de différentes sortes. Marginaux, modèles, stars, péquenots, pas mal de chats, des gays, et surtout, comme je l’ai déjà fait remarquer : beaucoup de jolies femmes. Souvent dévêtues et souvent ivres. On s’amuse bien devant son objectif, et on n’est même pas pris en flagrant délit de luxure. Tout est posé, explicite et clairement décomplexé. Voire provocateur, et vulgaire, comme ce majeur planté dans un gâteau d’anniversaire à la crème qui nous a tous invité au vernissage. Difficile de voir une unité de thème, de style ou de technique dans le travail de Kiselev, mais il y a un esprit quand même derrière l’objectif. Dans les clichés, on a du noir et blancs, des natures mortes, des corps, des décors d’appartements soviétiques. C’est décadent, sans prétention ni emphase, posé mais pas poseur. « Rien de spécial », dit le titre. On ne se prend pas au sérieux et on n’oublie pas d’où on vient, c’est-à-dire du paradis des prolétaires. Bus pourris, plages crades, tapis aux murs, vieilles friandises écoeurantes. Kiselev vient de Ekaterinbourg, ville industrielle de l’Oural. Il nous montre que même avec les narines cokées, les paillettes et les nippes hors de prix, on n’est vraiment « rien de spécial ».
Emmanuel Grynszpan
Jusqu’au 4 juin
Galerie Pobeda
Moscow, Bolotnaya emb. 3 b. 4
téléphone: +7 495 644 03 13
E-mail: [email protected]