Un carnet de voyage à la couverture molletonnée. De la matière, dense et un grain vaporeux. La magie du Polacolor et ses dérives chromatiques opèrent et s’étirent au fil du temps sur les Polaroid de Philippe Guionie. Car ils en ont parcouru, du chemin, les petits carrés. Durant leur voyage, ils se sont frottés aux particules, embrassant avec eux les traces de leur passage : poussière, embruns et solarisation.
Philippe Guionie est l’un des membres de l’agence MYOP. Depuis 2004, entre deux commandes pour la presse et ses séries personnelles, le photographe décide de plier bagages, de quitter les lieux pour des destinations qu’il choisit en raison de leur proximité avec la mer Noire. Un voyage, ici ou là, qu’il entreprend pendant près de dix ans, comme pour y trouver une respiration nouvelle. Une errance cathartique. Quelque chose qui viendrait s’ajouter à sa pratique sans qu’elle ne lui soit corrélative. Une entorse faite au noir et blanc qui habite plus généralement sa production. Une rencontre avec la couleur dont il dit se méfier, devenue possible grâce aux aberrations provoquées par des films altérés. Pour une fois, réajuster le regard sans rien lui commander en échange. Laisser l’objectif s’arrêter sur ce qu’il n’avait pas prévu. L’intimité du carré, tel un trésor enfoui.
La mer Noire n’est qu’un prétexte, le point de départ à un récit imaginaire. Tout comme le texte d’Andreï Kourkov faisant office d’incipit au livre paru aux éditions Filigranes. Une rencontre voulue par le photographe, surpris par l’inclinaison de l’écrivain russe à l’égard de son travail. Prenant comme point d’amarrage le roman de Jules Verne, Kéraban-leTêtu, et le récit légendaire de son négociant turc voguant autour de la mer Noire, que ce soit en Turquie, en Géorgie ou encore en Ukraine, nous ne verrons finalement que très peu cette mer balkanique. Les légendes ne nous seront d’aucune aide, renforçant ainsi cette aspiration vers des mythes fantasmés. Quelques objets ou signalétiques en guise de coordonnées géographiques mais dépourvues de carte autorisant leur lecture. Un voyage sans but à travers une mer aux abonnés absents. Des lavis de couleurs. Presque de petites gouaches à la réalité troublée. Des fulgurances contenues dans un carré obligeant à abandonner le “documenté” au profit de l’errance.
Voyager et trouver ce que l’on n’avait pas anticipé, Philippe Guionie s’est récemment réessayé à l’expérience. Dans le cadre d’une rétrospective consacrée à Sabine Weiss, le Salon de la Photo a invité le photographe a remonter les traces de cette Petite Egyptienne (1983) figurant sur le célèbre cliché. Il livrait il y a une quinzaine de jours sur RFI le récit de son épopée. Emue de plonger à nouveau dans les archives de sa propre mémoire, la photographe de renom recueillait le fin de mot d’une histoire vieille de trente ans. Car c’est bien le travail de mémoire, en effet, qui traverse la photographie de Philippe Guionie. Quand voyager suppose se déplacer pour cette fois, ne plus avoir à “regarder vers” mais “dos à”. Pour que chaque image, aussi anecdotique soit-elle, puisse participer à la construction d’une mythologie en marche.
33 Polaroids originaux sont exposés actuellement par la galerie Polka dans le cadre d’une exposition hors les murs du Mois de la Photo au Salon du Panthéon à Paris. L’ouvrage éponyme, ressemblant à un journal de bord et paru aux éditions Filigranes, est d’ores et déjà disponible.
EXPOSITION
Swimming in the Black Sea
Philippe Guionie
Jusqu’au 21 décembre 2014
Salon du Panthéon
13, rue Victor-Cousin
75005 Paris
www.polkagalerie.com
LIVRE
Swimming in the Black Sea
Photographies de Philippe Guionie
Editions Filigranes
Parution le 3 novembre 2014
Français/anglais
ISBN : 978-2-35046-328-5
170 x 240
64 pages
Relié couverture cartonnée
51 photographies en couleurs
http://www.filigranes.com/main.php?act=livres&s=fiche&id=496
Lien vers le récit de son épopée sur RFI :
http://www.rfi.fr/hebdo/20141114-photographie-france-egypte-enquete-traces-petite-egyptienne-sabine-weiss-salon-photo-paris/
http://www.philippe-guionie.com