Tchernobyl hante notre inconscient collectif. Il symbolise l’horreur naissante lorsque l’arrogance remplace l’humilité et que l’humanité se dresse contre la nature. La catastrophe de Tchernobyl de 1986 est considérée comme le plus grave accident de centrale nucléaire de l’histoire. A titre de comparaison, quatre cents fois plus de matière radioactive a été libéré en comparaison au bombardement atomique d’Hiroshima. Bien que cet événement ne se soit produit qu’à vingt cinq ans d’ici, il est impossible d’évaluer avec précision les dommages causés à la population et aux écosystèmes. Les catastrophes de cette ampleur créent des mutations de l’ADN, à vivre pour les générations à venir de la flore, de la faune et pour les populations humaines.
La réponse immédiate a été de déclarer un état de quarantaine et dans son sillage, la création de la Zone de Tchernobyl, une zone d’exclusion de 30 kilomètres autour du site du réacteur nucléaire. En 2010, ce site a été désigné comme zone exclusive de récupération de l’environnement et son ouverture à une sorte de business des plus insolites, le tourisme de catastrophe, donnant au public l’accès à la zone pour s’approprier la dévastation depuis les premières loges. Bien qu’il existe encore des «points chauds» dans la zone, les visiteurs sont envoyés en excursion, ce qui leur donne accès à une sélection de paysages dévastés et à la ville abandonnée de Pripyat.
Comme l’explique le site officiel, leur but est de « conformément [aux] informations qui ont été recueillies au départ: à partir des témoins de l’échec et de l’évacuation, par des chercheurs d’une zone moderne d’aliénation. Nous allons parler de l’accident de Tchernobyl, de ses conséquences, du passé, du présent et de l’avenir des terres de Tchernobyl, de telle façon que n’importe quelle entreprise qui exploite un sujet de Tchernobyl en toute simplicité est incapable de faire. »
En bref, la zone de Tchernobyl est devenue un laboratoire où les scientifiques peuvent étudier les effets des rayonnements sur la terre afin de – bien – déterminer ce qu’ils ont exactement appris de cette catastrophe et comment ils l’utilisent pour protéger la vie sur terre, la vraie question à laquelle il faut répondre.
Fort heureusement, tout ceux qui pénètre dans la zone ne cherche pas à étudier le côté sombre de cette histoire. Le photographe Andrej Kremenstchouk a obtenu l’accès à la zone et le résultat est accablant. Chernobyl Zone (I) (Kerhrer Verlag) est une œuvre magnifique, une collection grand format des images qui sont tout aussi inspirantes et terrifiantes par leur silence car le livre reste sans mots pour contextualiser son voyage à travers ce nouveau monde. La couverture ne porte aucun titre, juste l’image d’un coude de la rivière où l’eau ne semble pas couler alors que les rives forment une vision de mort. C’est presque comme si Kremenstchouk était notre guide sur le fleuve Styx.
Ce qui nous coupe le souffle repose sur la façon dont ces images nous montrent un monde que nous ne pourrions pas forcément comprendre alors même que le site nous présente une catastrophe de grande ampleur. La Chernobyl Zone est une nouvelle sorte de ghetto, un monde de pauvreté et de perte qui voudrait nier l’esprit humain face à l’adversité. Car même si la catastrophe a été créée par une espèce d’arrogance, le coeur de l’homme est vraiment humble, et les gens que nous voyons ici sont ceux qui tirent le meilleur de leur monde, contre toutes attentes.
Chernobyl Zone (I) est une visite guidée dans un monde laissé dans un semi-abandon où la nature a commencé à se régénérer. Le paysage se développe lentement et pas très loin, hors de la zone, les gens sont revenus. Ils vivent ici dans des maisons simples avec leurs chiens et leurs chevaux, mais dans ces images, esprits et fantômes rodent et se cachent.
Peut-être que l’image la plus inquiétante est celle du portrait d’une femme dont le visage est ravagé par les rides, un itinéraire de la douleur est gravé sur son visage. En face d’elle un autre photographe se tient, comme par effet de comparaison. C’est cette même femme qui a peut-être vingt ans, une beauté en tout état de cause. Ici, la promesse de la jeunesse contraste douloureusement avec la vérité de la vie et qui révèle de bien des façons que nous n’avons aucun contrôle sur notre destin. L’avenir n’est pas nôtre jusqu’à ce que nous le vivions, et d’ici là, il est bien souvent trop tard.
A cette échelle, c’est une régénération que nous ne pouvons pas vraiment comprendre même si nous avons le sentiment qu’une aide est un présent qui n’est pas donné. La mort fait partie du paysage, comme en témoigne un papillon de nuit mort sur une fenêtre ; il semblerait y être depuis un certain temps mais personne n’a pris la peine de le retirer de leur regard. Pourtant, la vie se bat pour elle-même et si ce monde est sombre, il y a des moments de beauté qui percent car ce que nous voulons vraiment dans cette vie, c’est l’amour et de bonheur. Kremenstchouk ajoute de belles natures mortes prises dans les maisons de ces gens, tout en partageant également les portraits des gens eux-mêmes, leur relation à la terre et à leurs animaux, de telle sorte que ce que nous voyons est une sorte de régénération de soi, du triomphe de l’esprit humain.
Sara Rosen
Andrej Krementschouk
CHERNOBYL ZONE (I)
ISBN 978-3-86828-200-9
Kehrer Verlag publishers
58 Euro
Andrej Krementschouk
CHERNOBYL ZONE (II)
ISBN 978-3-86828-210-8
Kehrer Verlag publishers
ca. 25 Euro
2011