Large cicatrice qui lui fend le front, Ngodup, ancien guerrier Khampa, a une gueule de bande-dessinée, et son histoire est digne d’un roman d’aventure : guérilla, himalaya, CIA…
Les Khampas sont de fiers cavaliers tibétains qui ne jurent que par leur sabre et leurs chevaux ; nomades depuis des siècles, ils ne se sont jamais laissés soumettre, même par Ghengis Khan.
J’ai fais sa rencontre à Katmandu, au Népal, en 2004.
En 1959, cela fait neuf ans que l’armée chinoise est présente au Tibet. Ngodup, avec 60 autres Khampas, prend alors part à la mission la plus secrète de la CIA : dans la nuit du 14 mars, l’agence américaine organise l’exfiltration du dalaï-lama, chef spirituel tibétain alors âgé de 22 ans, le même âge que Ngodup.
Il me livre l’histoire de sa chevauchée à travers l’himalaya et me révèle la guerre secrète des hauts plateaux du Mustang qui divise encore la communauté tibétaine. Dès lors je me fais la promesse de transmettre son témoignage.
Quatre ans plus tard, je réalise un reportage auprès de la jeunesse révolutionnaire tibétaine qui manifeste chaque jour devant les portes du consulat de la République Populaire de Chine à Katmandu, au Népal, contre la tenue des Jeux Olympiques à Pékin, en Chine. Je fais alors la rencontre de November, nom de code que je donne à une jeune Tibétaine pour protéger son identité, et qui s’impose comme le leader du groupe que je suis pendant une semaine.
En November, je reconnais les traits de caractère de Betty-La, femme-courage Tibétaine qui soutiendra la révolte des Khampas jusqu’à sa mort en 1966. Elle transmettait les nouvelles sur les ondes de All India Radio(Aakashvani, littéralement « Les ondes venues du ciel » en hindi) à tous ceux « qui se sont voués corps et âmes pour l’avenir du Tibet », selon les propos de l’explorateur et ethnologue Michel Peissel.
Betty-La et November inspireront les traits de Dolma, héroïne de « La Farce des Hommes-Foudre ».
Renouant ainsi avec ma formation d’ethnologue, j’ai à coeur de mettre en lumière l’ethnie des Khampas et d’explorer plus avant la complexité du peuple tibétain.
A mon retour du Népal, l’idée originale d’un roman se transforme en un projet de bande-dessinée avec la rencontre du dessinateur Loic Verdier. Dès lors, le roman graphique « La Farce des Hommes-Foudre » inspiré de faits réels, campe l’épopée des cavaliers Khampas qui mènent une lutte acharnée contre l’armée chinoise au Tibet en 1959 et les figures qu’ont y découvre sont un mélange de personnes réelles et de personnages fictifs.
Même si le dessinateur et moi nous sommes accordés quelques libertés avec la réalité afin de servir l’intrigue et le rythme d’une bande-dessinée, les dessins relèvent d’un important travail de documentation et d’inspiration, à partir notamment de quelques-unes de mes photographies pour la plupart prises au Népal – à l’exception d’une réalisée en Afghanistan…
Mon expérience de photographe de presse m’amène à considérer que l’utilisation finale d’une photo est celle qu’en font les journaux et magazines. Aussi, voir mes photographies réinterprétées en dessins et servir de base documentaire à une fiction et à un livre, s’apparente pour moi à une forme d’alchimie qui les ferait accéder à un statut d’éternité…
Matthieu Alexandre
Matthieu Alexandre,photojournaliste (Associated Press, Agence France Presse), est l’auteur et le co-scénariste de la bande-dessinée « La Farce des Hommes-Foudre » (Casterman, 2018) et l’auteur de deux nouvelles « Fleur de Pâques » et « Les arbres de fées » (Edilivre, 2017).
Après des études d’ethnologie, il débute sa carrière de photographe par un stage à l’agence Rapho puis rapidement son premier reportage est diffusé par l’agence Sygma. Son travail sera également diffusé par l’agence VU avant de travailler comme pigiste pour l’AFP puis pour AP.
Ses photographies ont été selectionnées au Festival du Scoop à Angers en 1999, à Visa pour l’image en 2004, aux Anthropographia Awards en 2010, présentées au Sénat et à l’Assemblée Nationale en 2015 et 2016 et exposées dans les jardins de l’Elysée lors de l’exposition « Regards sur l’Elysée » à l’occasion des Journées Européennes du Patrimoine les 15 et 16 septembre 2018.
La farce des hommes-foudres – Verdier, L., Alexandre, M., Brussels, Casterman, 2018, 152 pages.