J’ai rencontré la famille Gorgan en 1995, lorsque je faisais mes études à l’École de Photographie d’Arles. Les parents, Johny et Ninaï, vivaient alors en caravane, avec leurs sept enfants, sur un terrain situé entre la gare de frêt et le Rhône. Je ne savais rien de cette communauté et ignorais alors que cette famille Rom était installée en France depuis plus d’un siècle.
J’ai réalisé mes premières images en noir et blanc, m’inscrivant dans une tradition documentaire face à ceux qui m’étaient encore étrangers. Je maintenais une distance et essayais de comprendre ce que ce médium pouvait encore nous apprendre d’eux.
La découverte des quelques archives qu’ils possédaient puis les prises de vue réalisées dans le photomaton de la gare avec les enfants m’ont rapidement fait comprendre que la diversité des formes et des points de vue étaient nécessaires pour rendre compte de la densité de la vie qui s’offrait à mon regard.
Mon déménagement à Paris en 2001 m’a éloigné des Gorgan pendant plusieurs années. Les dernières images que j’ai réalisées sont celles des enfants hurlant, face au mur d’une prison, pour communiquer avec leur père incarcéré.
C’est en 2013, plus de dix ans après avoir réalisé ces photographies que nous nous sommes retrouvés, comme si l’on s’était quitté la veille. L’évidence que cette histoire devait continuer le plus longtemps possible m’est immédiatement apparu. Ils m’ont alors confié leurs images de ces années passées sans se voir.
Vingt ans après cette rencontre fondatrice, il m’a semblé que le moment était venu de faire cette exposition et ce livre. Le temps a fait son œuvre sur les corps et les visages des Gorgan. Un temps différent de celui de notre monde gadjé. Johny et Ninaï sont désormais grands-parents et les caravanes ont quelque fois été délaissées pour des appartements jugés plus confortables.
J’ai vécu en leur compagnie une expérience qui dépasse celle de la photographie. À leurs côtés, j’ai assisté, pour la première fois, à la naissance d’un enfant ; À leurs côtés j’ai aussi veillé le corps de celui que j’avais vu grandir : Rocky, mort brutalement à l’âge de trente ans.
L’exposition reconstitue les destins individuels de chacun des membres de la famille et retrace l’histoire que nous avons construite ensemble. Face à face. Et désormais, côte à côte.
Mathieu Pernot
Mathieu Pernot – Les Gorgan, 1995-2015
Jusqu’au 10 novembre 2019
Galerie d’exposition de l’Arsenal
3 avenue Ney
57000 Metz
https://www.citemusicale-metz.fr/