Maryam Ashrafi, d’origine iranienne, a étudié la sociologie liée à la photographie, et l’inverse, à Newport University (GB). Elle vient de publier le livre S’élever au milieu des ruines, danser entre les balles après avoir passé six ans dans différents territoires kurdes, notamment à la frontière entre Irak et Iran, mais surtout dans le nord de la Syrie. Ses photographies témoignent d’un « vivre avec » derrière les lignes du front : sa photographie n’entre ni dans le cadre du photojournalisme ni dans celui de la photographie d’art : il s’agit de photographie documentaire ou, mieux dit, de photographie d’auteur.
Alors que dans son livre Maryam Ahsrafi montre autant d’hommes que de femmes, l’exposition à la galerie Analix Forever à Genève, d’orientation féministe, a fait le choix de montrer spécifiquement les portraits de femmes, seules ou en groupe, ce d’autant plus que la photographe offre un témoignage sur la façon dont un peuple tente de bâtir un futur en soulignant le rôle des femmes dans l’équilibre social d’aujourd’hui et dans l’espoir de lendemains plus ouverts. L’émancipation des femmes jouxte ici, soutenu et élève au-delà des ruines le militantisme du mouvement d’indépendance kurde.
Maryam Ashrafi montre la vie en marge du conflit, dans les territoires en conflit, des réalités qui emprisonnent mais aussi la liberté qui se fait jour au moment où les femmes deviennent les porteuses d’un projet révolutionnaire politique et social. La photographe connaît les personnes qu’elle photographie. Elle pleure celles qui sont mortes dans les années qui ont séparé la « prise de vue » de la publication du livre. Le temps passé avec chaque femme, chaque groupe, souvent plusieurs semaines, est garant du respect apporté à chaque personne photographiée : ce temps long permet, l’instant venu, de saisir sa magie, sans que les images ne soient jamais « prises » – plutôt, elles sont « rendues ». La créatrice ne se permet pas la moindre digression, le moindre geste fantôme. Créer revient ici à identifier quelque chose d’important qu’il convient d’isoler, de retenir en une sorte d’état pur face aux destructions.
Le corps y prend le parti de la vie face à la mort qui rôde. Le principe retenu par l’artiste est celui du changement, du mouvement, de la lumière. Exceptionnel travail d’ailleurs, sur la lumière. La beauté des femmes parle de la vie ; l’éros, invisible et puissant, prend ici une dimension presque sacrée. Eros contre Thanatos.
Jean-Paul Gavard-Perret