Photographe de portraits et de paysages, la femme d’Henri Cartier-Bresson a su saisir le monde avec élégance et tendresse. Une exposition lui rend hommage dans les nouveaux locaux de la Fondation Henri Cartier-Bresson à Paris.
« Elle aimait prendre des paysages en photographie car elle aimait la fixité des choses. Elle pouvait ainsi changer de cadre, évoluer, et trouver la bonne image » témoigne Agnès Sire, directrice artistique de la Fondation Henri Cartier-Bresson et qui a bien connu la photographe. De fait, dès le début de l’exposition, nous sommes frappés par la qualité indéniable de ses photographies de paysages. Que ce soit au Maroc, en Angleterre, au Japon ou en Chine, Martine Franck a réussi à capter avec minutie la beauté d’un lieu. Il y a souvent des silhouettes qui parsèment les paysages, qui se promènent dedans, en voyageur surpris et incongrus. Tel ce couple enlacé et allongé dans un cimetière au Royaume-Uni en 1978, ainsi de cette jeune femme sur la côte normande au bord de la mer, des falaises immenses derrière elle…Des tableaux élégants que savait faire Martine Franck et qu’elle sublime peut-être le mieux lorsqu’elle se rend sur une île qui a bercé son coeur : Tory Island en Irlande.
Belle du seigneur
Là, non seulement elle prend en photographie de magnifiques paysages, mais elle immortalise les habitants. Car Martine Franck avait aussi un goût prononcé pour le portrait. Ainsi fait-elle celui des îliens, notamment quand elle croise, par exemple, des enfants en train de jouer dans la mer. Des portraits vivants, plein de joie et de jeux, et souvent empli d’une intense réflexion sur la vie. C’est par exemple le cas de ses portraits de célébrités qui jalonnent son oeuvre. Albert Cohen pose pour elle peu après avoir reçu un prix pour Belle du Seigneur. « Il m’a offert un regard » a dit Martine Franck à Agnès Sire lorsqu’elles ont regardé ensemble cette photographie. Des portraits touchants qui prouvent à quel point la photographe excellait dans ce domaine. « Le portrait c’est toujours une nouvelle rencontre. Avant la prise de vue, j’ai le trac, puis peu à peu les langues se délient. Ce que je cherche à capter c’est la lumière dans l’oeil, les gestes, un moment d’écoute ou de concentration – lorsque précisément le modèle ne parle pas » disait-elle.
Le chat Mitsuko
En 1968, le poète Yves Bonnefoy se souvient du jour où Martine Franck fait son portrait : « Je la revois maintenant un après-midi d’été aux abords déserts d’un petit bourg de Provence. Brusquement, dans la grande chaleur, elle avait surgi, son appareil de photographie à la main, de sous le rideau de cette lumière ». Martine Franck aimait aussi prendre en photographie les photographes. Elle fera le portrait de Bill Brandt, Saul Leiter, David Goldblatt. Elle fera aussi ceux de sculpteurs comme Henry Moore en 1968 ou encore Etienne-Martin en 1967. En 1999, elle capture l’image de Balthus avec son chat Mitsuko au grand chalet de Rossinière en Suisse. En 1983, elle attrape le visage d’Agnès Varda à son domicile. Elle fera aussi le portrait de Cartier- Bresson qui déteste être photographié. Il lui dira, un jour, « quel cadeau d’anniversaire veux-tu ? » et elle de répondre : « Te photographier ».
Méditation
Portrait saisissant du photographe chez lui, attablé à son bureau, en train de dessiner son autoportrait tandis qu’il se regarde dans un miroir. Mise en abîme de l’image du photographe qui passe par le dessin et le reflet… Cartier-Bresson disait : « le dessin est une méditation ». On peut dire qu’une grande partie des photographies de sa femme l’est aussi. Car Martine Franck ne s’intéressait pas seulement aux personnalités. Elle allait aussi fréquemment photographier des anonymes, que ce soit dans la rue ou dans des lieux précis. À ce titre, elle allait souvent dans des hospices pour personnes âgées et les prenait en photographie. On est ému par ces personnages vieillissants qui semblent assommés par la fatigue et la maladie et qui, en dépit de tout, tentent de sourire à la photographe.
Kyoto
Martine Franck, peu de temps avant sa mort, avait réalisé une série de photographie tout à fait étrange et belle, une série abstraite. Elle prenait des détails de jardin japonais à Kyoto, de grottes ancestrales en Chine et en faisait une palette impressionniste. Cette série a été présentée un mois après sa mort aux Etats-Unis en 2012. La photographe disait peu de temps avant à Agnès Sire : « Ne t’en fais pas, je vais me fondre dans la nature ». « C’est ce qu’elle a fait avec ce travail » dit Agnès Sire.
Jean-Baptiste Gauvin
Martine Frank
6 novembre 2018 – 10 fevrier 2019
Fondation Henri Cartier-Bresson
79, rue des Archives
75003 PARIS