Pendant une semaine, Martin Parr a photographié le quartier de la Goutte d’Or à Paris. C’est devenu une exposition à l’Institut des Cultures de l’Islam.
La commissaire de l’exposition, Véronique Rieffel, raconte :
“De L’Assommoir décrit hier par Zola aux colonnes de nos quotidiens d’aujourd’hui, la Goutte d’Or est sans doute le quartier de Paris qui jouit le plus d’une «mauvaise réputation». Criminalité, trafic de drogues, insalubrité, prostitution, prières dans la rue, tels sont les mots qui reviennent en boucle à son évocation, quitte à oublier la beauté de ce nom hérité du vin qui y était cultivé au XIXe siècle. Pourtant, faut-il encore le rappeler, ce quartier en pleine évolution est irréductible à ces représentations qui habitent l’imaginaire collectif, quand bien même beaucoup de parisiens n’ont encore jamais eu l’occasion de franchir la barrière symbolique du boulevard Barbès pour découvrir par eux-mêmes un monde cosmopolite et attachant qui mérite d’être connu au-delà de stéréotypes sulfureux.
La Nuit Blanche, cette manifestation populaire qui permet de (re)découvrir la ville à travers le regard des artistes contemporains avait initié avec succès ce point de vue décalé en 2006. L’émergence d’un lieu comme l’Institut des cultures d’Islam, aux côté des nombreux autres acteurs culturels qui vivent la Goutte d’or au quotidien, poursuit cette démarche en mettant en avant la création contemporaine d’artistes issus de cultures musulmanes ou portant sur ces cultures un regard éclairant.
Martin Parr et la Goutte d’Or ou encore Martin Parr et l’islam, … Quelle association curieuse au premier abord ! Et risquée aux yeux de certains qui craignaient son œil parfois sans concession. Pourtant, comme il le dit lui-même à juste titre, il est avant tout un humaniste et c’est cet aspect de sa personnalité artistique qui ressort particulièrement ICI. Lorsque j’ai proposé ce projet à Martin Parr il y a un an, il l’a d’emblée accepté avec un enthousiasme au-delà de mes espérances, alors même qu’il refuse bien des propositions en France en raison d’un dispositif de droit à l’image très contraignant.
Pendant une semaine fin janvier, le célèbre photographe anglais à fait sien le quartier, est allé à la rencontre de ses habitants, ses commerçants, ses lieux de vie et en a saisi avec l’humour et le décalage qui caractérisent des images contrastant bien souvent avec les clichés usuels. Son regard anglo-saxon qui perçoit la place du religieux dans la ville sous un angle différent du nôtre permet d’apporter un souffle d’air frais dans un débat souvent étouffant.
Une résidence de Martin Parr est déjà en soi un événement. Qu’elle se soit passée «chez nous», à la Goutte d’Or est un signe très fort. Dans un questionnement qui dépasse nos frontières, la réponse qu’apporte l’Institut des Cultures d’Islam suscitera certainement des regards curieux. Elle accompagne aussi merveilleusement et sans parti pris le changement positif des mentalités que nous vivons actuellement. »
Interview de Martin Parr par Véronique Rieffel,
Directrice de l’Institut des Cultures d’Islam et Commissaire de l’exposition (extraits)
VR : Qu’est-ce qui vous a donné envie d’accepter ce
reportage photographique à la Goutte d’Or ?
MP : Ca me semblait à la fois passionnant et difficile… Je trouvais que c’était un bon sujet et un vrai challenge, il est compliqué de prendre des gens en photo en France à cause d’une certaine forme de parano que, n’étant pas sociologue, je ne m’explique pas et aussi d’un dispositif législatif de droit à l’image très contraignant, il faut toujours se promener avec deux assistants : un pour les repérages et un rien que pour les autorisations. Ajouté à cela la barrière de la langue (je ne parle pas un mot de français et les Français souvent parlent peu anglais) et le fait qu’on a affaire à des personnes dont la religion introduit un rapport particulier avec l’image… Je me suis dit qu’il faudrait quasiment cinq personnes avec moi ! Mais alors, du coup cela rendrait notre présence dans le quartier trop imposante et le rapport avec les gens est moins intime !
Bref, c’était une sorte de mission impossible ! Et ca, ça me plaît !
VR : Aviez-vous déjà eu une expérience de représentation de l’islam ?
MP : Oui, à travers un reportage dans le West Midlands, j’ai été amené à prendre en photo différentes communautés : des hindouistes, des musulmans, des juifs… (…) Mais au cours de ce reportage, je n’étais pas entré dans une mosquée… En fait, c’est la première fois que je vois de l’intérieur une mosquée dans un pays non musulman. Je ne connaissais les mosquées que comme touriste à Istanbul où on ne peut visiter les lieux de cultes qu’en dehors
des heures de prières… Là, j’y étais en plein milieu… Passionnant !
(…) Vous savez, moi, je me contente de photographier ce que je vois, c’est tout. Je ne le fais pas par rapport à une histoire ou pour prouver quoi que ce soit. Je redoute toujours la propagande. Dans ma
façon de faire, le lien est plus direct que ça.
VR : Oui mais vous savez, en France, le quartier de la Goutte d’Or est souvent perçu comme le quartier musulman de Paris, comme une sorte de ghetto, les médias et les hommes politiques le voient souvent comme un déversoir de tous les problèmes : islam, drogue, prostitution, etc. Est-ce que vous avez essayé de donner une autre image du quartier ?
MP : Franchement, je n’étais pas au courant de tout ça. Je ne suis pas Français et par conséquent je ne lis pas les journaux français. Du coup, je pense que je suis arrivé sans complexe et sans idées préconçues sur le quartier en particulier. J’avais juste à l’esprit le fait encore une fois que, comme on était en France, ça allait être compliqué de photographier les gens, mais comme dans n’importe quel endroit français !
VR : Quel a été le moment fort de ces moments passés à la Goutte d’Or ?
MP : La grande prière du vendredi à la mosquée El Fath. Je n’avais jamais vu ça ! C’était impressionnant et très intense. En Angleterre, il n’y a pas ce genre de scène de rue. A ma connaissance, il n’y a pas de problème de construction de lieux de culte musulman. Il y a assez de place pour tout le monde dans les mosquées. Le plus surprenant, c’est que c’est là où j’ai eu le moins de problème avec la présence de ma caméra alors qu’on aurait pu imaginer que ce serait le moment le plus délicat ! J’ai même pu photographier des femmes à l’intérieur de la mosquée en train de prier. Je n’avais jamais vu ce type d’image avant. Ca, c’est un vrai scoop ! (…)
VR : Est-ce que les photographies exposées reflètent bien les impressions que vous a laissées votre découverte du quartier ?
MP : Oui et non, puisqu’il y a un décalage entre ce que j’ai vu et ce que j’ai pu filmer, en raison de cette quasi impossibilité photographique. Mais c’est ce décalage aussi qui est intéressant finalement et qui est un sujet en soi.