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Mare Mater, de Patrick Zachmann, au musée Nicéphore Niepce

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Il s’agit d’un voyage, un voyage de mémoire et d’exils. Ce voyage tisse le fil de toutes les destinées que je croise ; celles des migrants quittant leur pays de la rive sud de la Méditerranée, fuyant le chômage, l’ennui, l’absence d’avenir ; celles des femmes, des mères, qui les laissent partir ou découvrent qu’ils sont déjà partis. Et moi, je pars à la recherche des racines de ma mère, celles qu’elle a voulu oublier.

Etalée sur une période de deux ans, cette aventure, partie de Marseille, m’a mis sur les pas d’Issam, jeune migrant algérien d’Annaba, arrivé depuis plusieurs mois sans papiers, mais déjà dans un centre d’insertion ; puis de Nizar, Tunisien clandestin que j’ai connu dans la rue, tout juste arrivé de Lampedusa, dans un bateau de fortune. Ils racontent tous deux leurs périples, mais surtout les raisons de leur départ et, chacun à leur façon, le manque de leur mère. Cette mère, qui dans la culture judéo-arabe, est omniprésente, sacrée. En filigrane, on comprend qu’au-delà de la misère, ils ont fui aussi un mode de vie, un étouffement et au final peut-être bien ces mères qui les adorent (qui les aiment trop ?). J’ai été là-bas, d’où ils viennent, pour comprendre et pour rencontrer leurs mères, qui racontent à leur tour ces départs, ces déchirements, cette longue séparation.

C’est l’histoire de la Méditerranée, l’histoire de la mer, l’histoire des mères. Parfois, les fils ne reviennent pas. Parfois, les fils périssent en mer. Et puis il y a aussi le rêve, le fantasme. Le rêve d’une Europe qui ne sera jamais aussi belle, aussi accueillante, aussi riche que vue de l’autre côté.
Ce projet est né également de la certitude d’avoir à affronter dans un temps proche la séparation définitive d’avec ma mère très âgée et malade. Sa disparition rendra impossible à jamais le comblement de ses silences sur son histoire. Cette séparation particulière d’un fils avec sa mère, à laquelle je me prépare, résonne avec la séparation que les migrants clandestins, que j’ai filmés et photographiés, imposent à la leur, traversant la mer au péril de leur vie pour gagner l’Occident.

J’ai commencé à l’interroger et à la filmer, âgée de 90 ans et atteinte d’un début d’Alzheimer. Elle ne se souvient pas de grand-chose et encore moins de détails concernant l’Algérie, mais se souvient
à quel point elle voulait oublier. Je n’avais ni photos – un comble pour un photographe – ni récit de l’histoire familiale du côté de ma mère, juive séfarade. Elle voulait oublier l’Algérie, la pauvreté, oublier ses origines. Aujourd’hui, je fais le voyage à l’envers. Je fais le voyage des origines perdues, de la part manquante, tue, cachée. Je suis convaincu que c’est pour faire l’album de famille qui me manque, aussi bien du côté de ma mère que de mon père, dont les parents ont été déportés à Auschwitz-Birkenau, que je suis devenu photographe. Pour me fabriquer des souvenirs.
Ce projet est donc le récit entremêlé de mes rapports difficiles avec cette mère dont j’ai voulu très jeune échapper à l’emprise et que, d’une certaine façon, je retrouve avant sa disparition annoncée, et la traversée de la mer au péril de leur vie de tous ces jeunes migrants qui laissent leur mère folle d’inquiétude sur le rivage de leur enfance. Les passerelles entre ces deux mondes, font écho à une réflexion sur les fondements de mon travail de photographe et de journaliste, sur mes rapports avec le temps et la mémoire, et sur ma quête perpétuelle d’identité.
Mer, mère, mare, mater… Une fois de plus, mon travail photographique fait écho à ma propre histoire et tente d’en remplir les vides.

Patrick Zachmann

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