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Marcelo Brodsky : « Nous sommes tous des migrants »

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Marcelo Brodsky est surtout connu en France pour son travail Buena memoria (Bonne mémoire), qu’il avait montré dans le cadre de l’exposition América latina à la Fondation Cartier pour l’art contemporain en 2013. Il présentait une reproduction de sa photo de classe, sur laquelle il avait inscrit, des années plus tard et après le passage de la dictature en Argentine, des annotations sur le sort de ses camarades après les avoir recherchés. Plusieurs d’entre eux n’avaient pas survécu aux années de dictature dans le pays. Rencontre avec un photographe et artiste engagé, qui croit au pouvoir des images, à l’occasion de son exposition au Museu da Imagem e do Som à São Paulo.

Une exposition de votre travail, intitulée Migrações (Migrations), dont le commissariat a été réalisé par Priscila Arantes du Paço das Artes vient d’être inaugurée au Museu da Imagem e do Som à São Paulo. Pouvez-vous me parler de cette exposition ?

L’exposition est divisée en trois grandes parties, qui représentent trois flux migratoires différents : le premier raconte l’histoire de mes grands-parents, qui ont tous les quatre immigré depuis la Russie jusqu’en Argentine. L’une de mes grand-mères est même née sur le bateau qui emmenait sa famille pour l’Amérique latine. J’ai réalisé des interventions et inscriptions sur les images que j’ai récupérées de cette époque, de leur traversée en bateau et de leur arrivée en Argentine. Dans cette première partie, je me positionne comme petit-fils de migrants.

Dans la seconde partie de l’exposition, je présente des images de mon travail intitulé Nexo (Lien), que j’ai mis en forme en 2001 à partir d’images réalisées pendant mes années d’exil à Barcelone, alors que je fuyais la dictature en Argentine. Là, je suis le migrant.

Enfin, dans la troisième partie, je montre des images réalisées à partir de photographies des flux migratoires qui ont actuellement lieu dans la région de la Méditerranée. Je suis intervenu plastiquement sur ces images, pour leur donner un nouveau sens.

Ces images de migrants de la Méditerranée proviennent-elles de la presse ?

Elles proviennent de banques d’images. J’ai moi-même crée une banque d’images, nommée Latinstock, il y a presque trente ans maintenant, qui représentait notamment Magnum et qui était présente dans toute l’Amérique latine, ainsi qu’en Espagne. Le fait de gérer une banque d’images m’a donné les clés pour comprendre la manière dont on peut travailler avec ces images. Et utiliser dans l’art contemporain ce type de photographies, qui sont en quelque sorte des « archives contemporaines », est, je crois, assez nouveau. Je réalise ces travaux en collaboration avec la banque d’images EFE et selon les accords que nous avons construits. Le crédit de celles-ci, ainsi que celui du photographe apparaissent lorsque je montre le travail.

Ces photographies ont subi un déplacement de contexte. Je prends une image destinée à l’information, et je la fais passer dans le secteur de l’art, de la culture. Lorsque l’on voit ces images dans la presse, on tourne la page, et puis on n’y fait plus attention. Le fait de les sortir de ce contexte, et d’intervenir sur ces images, modifie le punctum de la photo, le regard initial est disloqué. Cela permet de donner aux photographies une nouvelle présence, et elles acquièrent un pouvoir nouveau.

Pourquoi créer dans l’exposition ce parallèle entre trois époques, trois territoires et trois flux différents ? Les lieux, origines des migrants et époques changent, mais l’Histoire semble être toujours la même, est-ce une fatalité ?

Oui, l’Histoire est destinée à se répéter. Je crée ces images afin de ne pas commettre les mêmes erreurs. Car nous sommes tous des migrants. Je viens d’un pays, l’Argentine, formé par des milliers de migrants européens, et plus largement d’un continent où les migrants ont joué un rôle fondamental. Une question morale se pose, et relie cette histoire du continent à ce qui se passe en ce moment en Europe. Si l’Argentine a été capable de recevoir plus de 5 millions de migrants venus d’Europe, je trouve intéressant de mettre cette histoire en regard de la situation de l’Europe et son attitude de rejet face aux migrations actuelles. Je propose de recevoir plus de migrants, même ici en Amérique latine, nous avons de la place. Je ne veux pas avoir de recul sur cette situation, qui me concerne pleinement. Je veux connecter la grande et les petites histoires. C’est la façon dont je travaille.

Et je suis convaincu que les migrants peuvent apporter de grandes choses à notre société. Je suis d’ailleurs en train de produire une pièce, qui consiste en un bateau de bois, rempli de terre et dans lequel les migrants seront représentés par des fleurs qui y pousseront. Je vois les migrants comme ça, comme des possibles, comme des fleurs qui peuvent fleurir de l’autre côté de la mer ou de la frontière qu’ils traversent.

Il semble que vous cherchiez justement à effacer ces frontières géographiques et temporelles lorsque vous mêlez différentes histoires de migrations, et celles entre les diverses formes de diffusion de l’image ensuite, en les hybridant comme vous le faites par exemple entre l’art et la presse ?

Oui, il y a un peu de ça. Mais aussi, j’aime que mes travaux aient plusieurs sens de lecture. Dans l’exposition Migrações, il y a toujours trois ou quatre sens qui s’interconnectent et qui renforcent la réflexion.
 Le travail Buena Memória, la photo de ma classe de collège sur laquelle je suis intervenue après avoir fait des recherches sur la vie des mes camarades aujourd’hui, possède lui aussi plusieurs interprétations possibles. Dans le titre déjà, puis grâce aux inscriptions sur la photographie, et enfin en fonction de l’histoire du lieu et du contexte dans lequel je le montre. Il y a toujours plusieurs couches de lecture, qui sont interprétées différemment selon le public.

J’aime faire se connecter les différentes strates d’utilisation des images. Les images de presse créent une certaine distance, alors que l’art permet de transmettre des choses de manière plus personnelle et sans limitations. L’art me permet notamment dans mon œuvre de continuer à parler du sujet des migrations sans me répéter. Unir ces mondes m’intéresse. Me servir de ce que j’ai appris avec les banques d’images, pour aujourd’hui réaliser des actions en partenariat avec des ONG et à la défense des droits de l’homme fait sens pour moi.

Car en plus d’être artiste, vous vous engagez comme défenseur des Droits de l’homme, notamment avec l’association Visual Action que vous avez récemment créée. Pouvez-vous me parler de cette facette de votre travail ?

La mission de Visual Action est de travailler avec des ONG qui œuvrent pour la défense des droits de l’Homme, et de les éduquer au développement d’un langage visuel, pour leur permettre d’utiliser les images comme un outil de défense, de protection et de promotion des droits de l’homme. Les ONG ont souvent des pratiques très liées à la politique, mais très peu au visuel. L’objectif de l’association est de relier l’art et les droits de l’homme, de transmettre aux ONG les informations et les codes nécessaires, car apprendre le langage des images est une nécessité. Le pouvoir des images est extraordinaire ! Elles fonctionnent comme des catalyseurs de données, permettent de dénoncer et de mobiliser. Nous avons par exemple monté une grande campagne en solidarité avec les victimes d’Ayotzinapa, les 43 étudiants disparus en 2014 au Mexique, et appelé les étudiants du monde entier à créer des images pour lutter contre cette tragédie et la rendre visible. Toutes ces images ont ensuite été montrées dans l’école Isidro Burgos de Ayotzinapa, l’école des étudiants disparus, un an après qu’ils aient été séquestrés.

Les images ont un grand pouvoir, mais il faut savoir l’orienter, le diriger, afin que ses objectifs soient positifs, humanistes. Je pense par exemple que nous, photographes et artistes d’Amérique latine, avons commis une erreur récemment en ne nous engageant pas tous ensemble pour soutenir le « oui » pour la paix en Colombie. Je pense que nous aurions gagné si l’on s’était unis.

Quels sont vos projets en cours ou à venir ?

Je suis en pleine préparation de la foire d’art de Bogotá, où je vais montrer mon travail d’intervention sur les images des révoltes de 1968 à travers le monde. Je montrerai également ce travail l’année prochaine à Tlatelolco à México, exactement là où a eu lieu le massacre des étudiants en 1968. Et avec Visual Action nous sommes en train de penser à un projet en rapport avec le pouvoir des images dans les favelas au Brésil… Mais je ne peux pas en dire plus pour le moment !

Propos recueillis par Elsa Leydier

 

Marcelo Brodsky, Migrações
Jusqu’au 20 novembre 2016
Museu da Imagem e do Som, São Paulo
Av. Europa, 158
Jardim Europa, São Paulo/ SP
Brésil

http://www.pacodasartes.org.br/exposicao.aspx

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