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Manolis Baboussis, exposition « rétroprospective » à Athènes

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Manolis Baboussis est un homme de la Renaissance, qui aura traversé deux siècles. Il est architecte, photographe et un pionnier de l’enseignement de la photographie en Grèce : c’est lui qui a initié l’enseignement de la photographie à l’École des Beaux-Arts d’Athènes. Manolis Baboussis présente aujourd’hui, dans les 2300 m2 de l’espace d’art de cette même école qui accueillit la Documenta 14, où il fut aussi vice-recteur et dont il transforma le parking en jardin, une exposition personnelle, « rétroprospective », intitulée « Le Jardin ». Quarante ans de création de l’un des artistes grecs contemporains les plus importants.

Manolis Baboussis découvre la photographie dans sa chambre d’étudiant à Florence et, dans cet espace sommaire, la « camera » (la camera, la chambre) lui met le monde entier à sa portée. Il fut l’élève d’Adolfo Natalini, proche de Superstudio, et vécut de l’intérieur l’expérience de l’architecture radicale et de la déconstruction.

Les premiers pas de Manolis Baboussis dans la création artistique ? Il a alors à peine vingt ans et découvre l’asile psychiatrique de Volterra, où il initie une action avec un groupe de musiciens. En architecte du vide qu’il est, il photographie les espaces de l’asile, ces témoins de la folie ordinaire : des espaces vides, mais incarnés. Baboussis photographie aussi l’existence même du sujet photographié. Un travail qui change le regard porté sur l’autre.

Pour son diplôme d’architecture, Manolis Baboussis proposera la démolition de ce même hôpital psychiatrique. « Mes “fous“ aujourd’hui sont les autres, les différents, les hypersensibles, les malades, les rêveurs, les honnêtes gens, les sans-papiers, sans travail – ils sont en réalité toujours les mêmes et ils sont toujours là, eux et leurs traces, derrière mes images, dans mes obsessions, dans le confinement et dans la nature. Ce sont eux qui donnent voix aux arbres dans mes œuvres, ce sont eux encore qui nous regardent, de derrière les horizons. » Donner voix aux arbres : l’artiste y travaille constamment. En les plantant – 300 à ce jour sur l’île de Kéa – et en les photographiant.

Mais il photographie aussi les absurdités de son pays, la Grèce. « Être grec », pour Manolis Baboussis, signifie « vivre dans un pays de grande beauté et d’inexactitude. » Les photographies de Baboussis explorent les institutions du pays et illustrent la situation de crise permanente dans laquelle la Grèce se trouve depuis des décennies. Baboussis photographie ainsi l’une des plaies les plus ouvertes de la Grèce, des plaies de béton – plus précisément, des colonnes de béton, murs inachevés érigés dans les campagnes, dans les îles, partout. Il s’agit de pouvoir affirmer que l’on a construit, même si c’est pour ne jamais achever la construction ni l’habiter. Le toit une fois posé, la construction est indestructible et son existence validée par l’État. Ces constructions sont des squelettes d’avant la chair (Squelettes, 2000-2010) et il ne reste à la Femme de Vitruve de Baboussis – une femme nue, corps inversé – qu’à pratiquer le yoga, à la recherche d’un sens qui viendrait d’ailleurs.

La grande série de photographies analogiques noir et blanc consacrée à Athènes (1985-1996) reflète la vision que Manolis Baboussis a de sa ville : « Un musée vivant de constructions irrationnelles, de restaurations indéfiniment repoussées, de blessures répétées, que nous continuons de contempler. »

Montrée pour la première fois, une grande photographie (Sans titre, 2018) clôt l’exposition. Une porte vers un ailleurs : celle d’un hôpital : l’Hôpital « Sotiria » à Athènes (littéralement, « sauvetage »). La porte est abîmée et réparée, sa poignée maintenue en place par des tuyaux de plastique transparent  qui servent aux perfusions. Une porte qui semble comme recouverte de bandages. C’est ainsi que l’on répare les objets. C’est ainsi que l’on répare les humains, aussi. Manolis Baboussis, avec ses images et avec sa poésie, tente depuis toujours de réparer le monde, non sans mettre en lumière les blessures volontaires que nous lui infligeons.

Le site de l’artiste propose entre autres un CV détaillé : https://manolisbaboussis.gr/ ; de nombreux catalogues lui ont été consacrés ; celui de l’exposition « Le Jardin » paraitra en novembre 2022.

Plusieurs recueils de poèmes de Manolis Baboussis ont également été publiés, en grec et certains en anglais.

Barbara Polla, 31 octobre 2022.

 

« Le Jardin », Athens School of Fine Arts, 256 Pireos Street, until December 8 : mercredi de midi à 20h ; jeudi et vendredi de 11h à 19h, samedi et dimanche de 10h30 à 16h30.

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