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Malick Sidibé par –Laura Incardona

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Avec Malick Sidibé, il y a un risque de tomber dans le stéréotype de la description d’un des plus grands photographes africains de sa génération, ou pire, dans l’émerveillement de ceux qui regardent ses photos prises à Bamako dans les années soixante et soixante-dix, les filles avec leurs robes ballons ou leurs seins nus sur les rives du Niger. Malick Sidibé me dit en souriant: «Vous Occidentaux continuez à penser que dans les années soixante les Africains vivaient nus sur les arbres, mais je vous assure que ce n’est pas le cas».

Malick Sidibé est un homme étonnant, à tous points de vue. Souriant perpétuellement, avec un esprit vif, une infatigable curiosité intellectuelle plus appropriée à un jeune garçon qu’à un homme de 75 ans, très religieux, mais ouvert à toutes les formes de spiritualité. Et puis, il y a les histoires qu’il aime raconter: ceux des protagonistes de ses photos par exemple. De tous, il connait le nom la famille et la profession. Une archive de vie réelle de l’histoire récente du Mali. Et les histoires de son enfance peuplée par les éléphants vindicatifs et les pythons tueurs. Peu de gens savent raconter comme Malick des histoires, sanglantes et tragiques, qui finissent de toutes les façons toujours avec le sourire. Madame Fanta, une de ses femmes, une fois m’a dit: «Dieu sourit à Malick». Ceux qui le connaissent peuvent le croire, d’où la difficulté d’écrire à son propos de manière objective: tomber amoureuse de lui est assez facile !

«Depuis toujours j’ai un talent d’observateur. J’aime regarder les personnes, j’essaye de les comprendre. En Afrique, le respect envers les personnes âgées est très important, il fait partie de notre tradition. J’ai toujours eu droit à ce respect, même au début de ma carrière car j’étais le plus âgé des garçons et des filles que je photographiais dans les fêtes, mais je n’ai jamais voulu qu’ils aient de déférence à mon égard : cela les aurait mis mal à l’aise et mes photos en auraient souffert, il n’y aurait pas eu la spontanéité que je recherchais. J’ai toujours aimé la compagnie des jeunes: c’est d’eux que viennent les nouvelles énergies, les changements qui font bouger le monde. Je ne crois pas que nous devions trop regarder en arrière: il est important de savoir d’où l’on vient, mais il l’est autant de savoir où l’on va. Ce pouvoir est dans les mains des nouvelles générations. Dès la fin des années cinquante, quand j’ai commencé à travailler, tout le monde me connaissait à Bamako, et encore aujourd’hui les enfants dans la rue m’appellent “Malick, Malick!”. Cela me fait plaisir, je ne veux pas qu’ils soient intimidés par moi. Je suis connu dans tout le Pays, les gens continuent à venir dans ma boutique de loin, de l’étranger et pas seulement de l’Europe ou des Etats Unis pour se faire photographier.”

“Tout cela a commencé par un dessin mystérieux”

Malick Sidibé est né en 1936 à Soloba, un village à plus ou moins 300 kilomètres de la capitale du Mali, Bamako. Sa famille appartient à l’ethnie Peul, anciennement nomade et traditionnellement éleveur de bétail après les Bambara. «Mon père a décidé que c’était moi le fils qui ferait des études. Il m’a envoyé d’abord à Yanfolila, à l’école de Pères Blancs, puis à Bougouni, à 160 kilomètres de Bamako. Nous allions à l’école à pieds en faisant des nombreuses étapes, c’était presque une aventure. J’étais très doué pour le dessin et un jour le directeur de l’école m’a chargé de faire trois tableaux à offrir au gouverneur des Colonies du Soudan, (le nom du Mali avant l’ indépendance de la France), qui venait en visite. Grâce à son aide, j’ai été admis à l’Ecole Nationale des Arts de Bamako en 1952. Trois ans plus tard, j’étais diplômé en joaillerie: j’étais leur meilleur élève, mais je n’étais pas satisfait, par tradition les Peuls, l’ethnie à laquelle j’appartiens, ne sont pas artisans mais éleveurs. Quand j’ai été envoyé, toujours par l’école, décorer le magasin de Gérard Guillat-Guignard, un photographe français qu’on appellait Gégé la pellicule à Bamako, j’ai accepté avec curiosité. A la fin du travail, il m’a demandé de rester en tant qu’apprenti, j’ai accepté pour un an, après quoi je prendrais ma décision. J’ai commencé à la caisse et rapidement je suis devenu son assistant. J’ai aimé la photographie, une façon de faire le portrait des gens beaucoup plus rapide et moins compliquée que le dessin. En 1956, j’ai acheté mon premier appareil photo, un Brownie Flash (que j’ai encore dans mon studio) avec lequel j’ai commencé à faire mes premiers reportages. Gérard Guillat-Guignard me donnait un pourcentage des gains. Quand, à la fin des années cinquante il a laissé son magasin, il m’ a proposé de le reprendre, mais je ne me sentais pas encore prêt. En 1962, finalement, j’ai ouvert le Studio Malick, dans le quartier populaire de Bagadadji : je suis devenu le photographe de la jeunesse de Bamako. Avec mon vélo, je pouvais couvrir jusqu’à cinq évènements par soir, et puis il y avait les cérémonies, les baptêmes, les mariages…».

Le photographe fréquente les fêtes des jeunes qui s’habillent à l’occidental et qui dansent au rythme des tourne-disques: ses photos sont le portrait d’une jeunesse joyeuse, pleine de désir de vivre, de confiance dans l’avenir. Les clubs aux noms exotiques ouvrent en ville et il n’y a pas d’événements auxquels Sidibé ne soit pas invité : sa renommée est tellement grande que, s’il ne peut pas participer, on déplace l’heure et même le jour de la fête. Les photos de cette période sont un témoignage fondamental d’un pays et d’une époque.

«A une heure avancée de la nuit, je retournais au studio développer les négatifs et tirer les contacts, puis, après avoir dormi à peine quelques heures, j’attendais les clients qui venaient choisir leurs portraits qu’il fallait tirer et livrer. Les années 60 et 70 ont été très heureuses, mais aussi dures, j’ai passé des mois entiers sans rentrer à la maison, dans ma famille. A cette époque, il était facile de s’amuser. Avec trois sous, on pouvait passer la fin de la semaine dans les clubs, en offrant à boire aux amis et du poulet rôti à la fille qui te plaisait. Organiser une surprise-party coutait encore moins cher, on commençait les préparatifs le vendredi, car le samedi après-midi, les filles revenaient du collège et tout devait être prêt.

Tout le monde avait envie de danser, d’être beau. La vraie révolution au Mali n’a pas été politique: elle a été amenée par la musique occidentale. Avant, on ne pouvait pas danser enlacé. Avec les rythmes qui venaient de Cuba, les chansons des Beatles ou de James Brown, les garçons et les filles se touchaient, s’approchaient. Les vieux, les parents n’approuvaient pas, mais ils ne pouvaient pas s’opposer au changement qui arrivait avec les notes des tourne-disques. La mode occidentale plaisait beaucoup aussi: on était au courant de ce qui se passait en Europe et aux Etats Unis grâce au cinema. En ville, il y avait d’excellents couturiers et se faire faire des robes ballon comme celles des grands couturiers français, ça ne coutait pas cher. Souvent, les amis du même club se faisaient coudre des habits identiques, avec le même tissu. Il s’agit d’une tradition qui demeure encore, pour les grands occasions. Pendant la saison chaude, les fêtes se déroulent au bord du Niger: à quelques kilomètres de la ville, il y a de belles plages, où les jeunes passent la journée.»

Vers la fin des années 1970, Malick Sidibé décide de se consacrer essentiellement aux portraits en studio. La procédure est simple, mais efficace: après avoir brièvement échangé quelques mots avec son sujet, pour le mettre à l’aise, Sidibé choisit la pose tout en saisissant, en quelques instants, l’essence de sa personnalité. Encore aujourd’hui, le studio est toujours à la même adresse et peu de choses ont changé, même si l’activité de portraitiste est devenue moins fréquente avec l’arrivée de la photographie numérique.

«Je suis fier d’etre photographe, car la photographie ne ment pas, pas celle en noir et blanc que j’ai toujours pratiqué. C’est pour ça que j’affirme avec fermeté que ma photographie est beaucoup plus sincère, authentique et directe que n’importe quelle parole. Elle est simple, tout le monde peut la comprendre et elle raconte une époque sans tricher. Ma photographie n’a jamais été académique, pendant ma jeunesse on ne pouvait pas voir des livres et des revues de photographie comme il m’arrive de faire aujourd’hui, on ne connaissait pas le travail des autres photographes. Ce sont sans doute mes études de peinture et de dessin qui m’ont aidé pour la composition des images et le choix de la pose.

L’homme a toujours cherché l’immortalité dans la peinture, la poésie ou l’écriture mais, autrefois, seulement le roi et les riches pouvaient se permettre un portrait. Mon père n’a jamais vu son image, sinon dans le reflet d’un miroir ou dans l’eau. La photographie est un moyen pour vivre longtemps, même après sa mort. Je crois au pouvoir de l’image, c’est pour cela que j’ai passé toute ma vie à représenter les personnes de la meilleure façon possible, en essayant de restituer leur beauté auant que je pouvais. Pour cela, j’essaye toujours de mettre à l’aise ceux que je photographie, car la vie est un don de Dieu et elle est meilleure si on l’aborde avec un sourire. Trop souvent, l’image de l’Afrique est liée à la douleur et à la misère. Il serait stupide de nier ces réalités, mais l’Afrique n’est pas seulement cela, et j’ai toujours voulu le montrer dans mes images. Chez nous est vraiment pauvre celui qui n’a rien à manger, j’ai vu souvent des gens avec de belles maisons et une vie malheureuse».

1994: Rencontres de la photographie de Bamako

En 1994, lors de la première édition des Rencontres de la photographie de Bamako, les portraits de Sidibé et de Seydou Keïta (l’autre grand auteur de Bamako, aîné d’une douzaine d’années, décédé en 2001) sont exposés pour la première fois. Journalistes et critiques occidentaux découvrent leurs talents. Peu de temps après, les photographies de Sidibé sont à Paris, d’abord à la Fnac Etoile, puis à la Fondation Cartier pour l’Art contemporain. En peu de temps, musées et galeries du monde entier présentent leurs travaux. Pour Malick Sidibé commence une nouvelle vie faite de voyages dans le monde entier, de conférences, de prix. Des événements qu’il vit avec la sagesse et la simplicité qui font de lui un grand homme. Ces dernières années, il tient des cours et des séminaires dans les écoles d’art et de photographie de Bamako.

«Depuis quelques années, je voyage, j’amène mes photos de l’Afrique en Europe, en Asie, aux Etats Unis. Je suis fier et heureux de ces reconnaissances, et je remercie Dieu, je ne suis qu’une petite partie de son merveilleux dessin. J’aime voir des nouvelles villes, si belles et différentes de la mienne. Mais je ne pourrais jamais quitter Bamako, ses rues de poussière rouge, richesse de l’Afrique. J’aime rencontrer les jeunes, raconter mon expérience et écouter leurs questions. Je l’ai dit pendant la remise de mon prix à la Biennale de Venise: je suis seulement un petit africain qui a raconté son pays, encore surpris de la reconnaissance du monde. Aujourd’hui, il y en a qui m’appelle artiste, mais je continue à préférer la définition de photographe» dit-il.

Aujourd’hui, Malick Sidibé est considéré comme le plus important photographe africain vivant. La Biennale d’art de Venise 2007 l’a consacré avec un Lion d’or pour sa carrière, décerné pour la première fois à un photographe. En 2003, il a remporté le prix Hasselblad en Suède, en 2008 le prix ICP à New York, en 2009 le prix PhotoEspaña-Baume & Mercier de Madrid et, en 2010, le World Press Photo dans les arts et spectacles, à Amsterdam. De nombreux livres et ouvrages sur son travail ont été publiés en Europe, aux États-Unis et en Afrique.
L’auteur continue à vivre et à travailler à Bamako.

Laura Incardona
Journaliste, commissaire indépendante.

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