En 2011, Christian Caujolle avait réalisé cette interview de Maja Hoffmann.
Le train des vacances entrait en gare quand le texte est arrivé. Celui que nous attendions depuis 5 jours: l’interview exclusive de Maja Hoffmann par Christian Caujolle pour La Lettre. Alors nous avons raté notre train. C’était la moindre des choses. Maja Hoffmann est une grande dame de la photographie. Son projet de transformation des ateliers SNCF d’Arles en l’un des plus grands centres d’art contemporain européen est formidable. Espérons simplement que les bureaucrates, les mafias locales, les sectes de tous bords, les egos divers et les nuisances multiples n’altéreront pas ce projet.
Christian Caujolle: Quel est ton plus ancien souvenir des Rencontres ?
Maja Hoffmann: Lucien se roulant par terre en proie a une crise d’angoisse l’année ou j’ai été son assistante (j’ai beaucoup d’affection pour lui), Maryse Cordesse et Michel Tournier discutant le Roi des Aulnes, mes interprétations approximatives anglais allemand français pour Ansel Adams ou Helmut Newton dans la cour de l’hôtel Arlatan.
C.C.: Le plus beau souvenir ?
M.H.: Les sifflets et les huées lorsque nous avons présenté notre exposition sur la nouvelle photographie couleur avec Allan Porter et Camera magazine. C’était au Jules César et le soir au Théâtre Antique. J’aimerais bien retrouver des photos de cette époque.
C.C.: Le pire ?
M.H.: Les élus à la présidence et la direction du Festival au lieu d’une direction artistique forte. Heureusement ce fut d’une courte durée. Je ne m’en souviens d’ailleurs plus car je n’y allais pas très souvent. Un autre souvenir: Mon frère qui faisait des tirages dans ma baignoire pendant les stages photos.
C.C.: Tu dotes les Prix depuis dix ans. Ils n’existeraient pas sans la Fondation LUMA. Quel est pour toi leur enjeu ?
M.H.: Les Prix sont pour les Rencontres une manière de se renouveler “en douceur” chaque année (surtout depuis que le processus en est rode). Faire participer le public de professionnels de la première semaine dans le choix est interactif et passionnant pour tous, avec un suspense qui dynamise la semaine. La Fondation LUMA ne dote pas seulement les prix, elle permet également aux photographes et aux nominateurs de voyager jusqu’à Arles et de passer une bonne partie de la semaine d’ouverture sur place. Elle permet d’exposer les œuvres de chacun dans des conditions toujours meilleures grâce à un travail de plus en plus précis de l’équipe des Rencontres. Elle participe à la diversité en permettant a 5 experts d’être commissaires et d’exprimer leurs choix, et parfois de faire se rencontrer des personnalités d’horizons différents.
C.C.: Mécène des Rencontres, es-tu parfois tentée d’intervenir dans la programmation ?
M.H.: Je suis mécène de nombreux projets artistiques en relation avec des particuliers ou des institutions dans le monde. Je suis également productrice de projets et il m’est arrive de commanditer des artistes directement. D’une manière générale un mécène ne doit pas intervenir au niveau artistique une fois le processus lancé, il doit laisser ce soin au directeur. Parfois on me demande mon avis, je ne résiste pas et…je le donne !
Tu collectionnes l’art contemporain depuis toujours. Est-ce que la photographie a une place à part dans cette collection ? Et laquelle ?
M.H.: La photographie n’a pas une place à part dans ma collection d’art contemporain mais elle y est représentée. Je n’ai pas de conseiller artistique pour ma collection personnelle. Je collectionne d’ailleurs depuis des années, depuis que je suis membre du conseil et du comité d’achat de notre fondation de famille, la Fondation Emmanuel Hoffmann (du nom de mon grand-père). Au début des années 80, j’étais alors très jeune…Pendant très longtemps, l’activité au sein de la fondation de famille m’a suffit et m’a permis de rencontrer des artistes et des personnalités extraordinaires. Ma collection personnelle n’a réellement debuté que plus tard, vers 2004, elle est donc relativement récente mais me procure des plaisirs solitaires intenses.
C.C.: Pour le futur, le grand projet, ce sont les ateliers. Peux-tu nous dire quel est leur sens pour toi et ce que tu vas y faire précisément ?
M.H.: Avec le parc des ateliers, nous (la Fondation LUMA et ses conseillers rencontrent l’enfant du pays qui a grandi en Camargue) essayons en premier lieu de créer quelque chose pour Arles, c’est un nouvel espoir a partir d’un lieu a fort potentiel, basé sur la photographie et l’image, la vidéo et le film, un laboratoire qui inclura des archives, des créations, et des productions.
La photographie et les Rencontres, grâce à leur excellente communication, font venir tout le monde de la photographie. Depuis 10 ans , avec les prix et à travers notre réseau personnel, nous avons contribué à faire venir un public plus varié et international: le monde de l’art contemporain (Bob Wilson), de la musique (Lou Reed,) du film (Vic Muniz, Julian Schnabel parmi d’autres). Tout cela crée une opportunité dont nous pensons qu’il faut cimenter le socle et créer une plateforme pour une activité durable pour toute la ville, en particulier Actes Sud et l’ENSP, mais aussi pour des acteurs locaux ou nouveaux qui pourraient s’implanter ici. Cela concerne aussi les Rencontres, particulièrement en été, ou notre programme LUMA qui devrait avoir lieu tout au long de l’année (avec de probables intermittences).
Il y a toujours des personnes derrière des projets, idéalement le lieu deviendra ce que les personnes en feront.
Archives de l’Œil de la Photographie – Christian Caujolle, 2011