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MABA : Cécile Hartmann : Le Serpent Noir

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Le Serpent Noir, projet inédit de Cécile Hartmann présenté au public à la MABA à Nogent-sur-Marne jusqu’au 18 juillet 2021, se déploie autour de la métaphore du serpent noir : le pipeline géant Keystone qui transporte quotidiennement plus de 700 000 barils de résidus impurs, depuis les exploitations à ciel ouvert de l’Alberta, en passant par les réserves indiennes, souillant les terres et les réserves d’eau et engendrant des dégâts écologiques sans précédent.

Ce pipeline, soutenu sous l’ère Trump, vient de voir la construction des derniers tronçons stoppée aux premiers jours de l’arrivée de Biden à la présidence des États-Unis, faisant souffler un vent d’espoir nouveau.

Un film, Le Serpent Noir ( 2018 – 2020), suit le flux invisible du pipeline jusqu’à la forêt boréale et constitue le cœur de l’exposition, depuis lequel se déploient en rhizome photographies, élément sculptural, wall- painting et sérigraphies.

Quatre ans après les luttes de Standing Rock et Sacred Stones, Cécile Hartmann partage l’archive de ce « temps en suspens », dans cet épisode de l’histoire contemporaine où les luttes ont déjà laissé la place aux premières altérations du paysage et des formes de vie, rendant aussi visibles les premiers signes d’un déclin de l’industrie fossile. L’artiste en délivre un récit, sans figure humaine, où l’image documentaire se mêle à l’image mentale, enchevêtrement de temporalités et d’espaces dans une plongée au cœur des ténèbres. Les ténèbres, perçues pour leurs potentialités créatrices comme destructrices, sont celles dans lesquelles le monde était plongé « au commencement lorsqu’il n’y avait ni lune ni étoile » ; elles sont ici le lieu des spectres, du surgissement et de la disparition. Elles deviennent également le contrepoint à la vision idéalisée des Lumières et de la Modernité (Christophe Colomb n’a jamais découvert l’Amérique) et à l’impasse écologique qui en résulte (l’appropriation et l’épuisement des ressources naturelles).

Le travail de Cécile Hartmann porte toujours la trace d’événements latents, souterrains, qui transparaissent ou ( ré) apparaissent à la surface des œuvres présentées. Le film Le Serpent Noir et ses ramifications se tiennent, eux aussi, sur ces fragiles interstices entre visibilité et invisibilité, dicible et indicible, réalité et fiction, organique et inorganique, force et instabilité.

La mémoire – comme l’actualité – de la violence exercée autant envers la nature qu’envers la communauté amérindienne, affleure ainsi régulièrement dans les œuvres de l’exposition, au travers d’un plan du film, d’un élément textuel, d’une musique… Ils sont les indices, les surgissements de ces événements.

Dès lors, l’énumération des noms des lieux traversés agit également comme projection fantasmatique de paysages naturels, de territoires appartenant aux « maisons » indiennes ou de batailles tristement célèbres. Le texte fait ici image, de la même manière que les notions mises en relation – dans ce qui emprunte la radicalité de sa forme à l’affiche militante – engagent le spectateur à penser les entrechoquements entre économie, politique, histoire et écologie.

Abaissant sans cesse son regard pour l’amener au plus près du sol, de l’argile « primitive », l’artiste s’intéresse à ces différentes strates, couches de temps et de mémoires accumulées. Sa vision passe ainsi constamment de l’échelle du global à l’échelle du fragment, d’une vision panoramique du paysage à une vision en plongée au cœur de la terre, dans un mouvement introspectif de l’ordre du psychanalytique.

Traçant ainsi des lignes entre romantisme, minimalisme et activisme, Le Serpent Noir se veut autant archéologie d’un présent dévasté et dévastateur que vision prophétique d’un avenir où le chaos et la destruction pourraient devenir forces de régénération si, toutefois, un nouveau cycle venait à s’amorcer.

 

NOTE PRÉLIMINAIRE

« Partir à la recherche d’un sens enseveli ». Harun Farocki

J’ai découvert l’existence de Keystone XL dans la presse il y a un an. Des photographies montraient la brutalité policière face à de jeunes Amérindiens, torses nus sous des canons à eau en plein hiver le long de la rivière Missouri. Derrière eux, des télévisions filmaient. L’attitude de fortitude face à la douleur physique et morale propre au caractère des Amérindiens et que « l’homme blanc » a rarement compris s’exprimait fortement dans ces images : résister en faisant de son corps un rempart muet tendu vers le ciel. Le pipeline, raison principale du conflit, était totalement invisible. Aucune piste, aucun tube, aucun chantier n’apparaissaient sur ces images.

Je pensais aux westerns de Ford, à l’immensité majestueuse de l’espace américain, aux espaces naturels aujourd’hui pour certains disparus. Je revoyais les scènes de massacre filmées par Arthur Penn dans Little Big Man le long de la rivière Washita en hiver. À présent, c’est le long de la rivière Missouri que le pipeline se construit, mettant en péril les réserves d’eau potable des communautés qui y vivent.

Cet objet cristallisait soudain dans mon esprit un ensemble de tensions, de peurs et d’images, mélangeant la fiction à la réalité la plus brute, le dégoût à une forme d’attraction et de rumination intérieure. Qu’est-ce qu’être contaminé ? Le sol, l’eau sont contaminés dans de nombreuses régions du monde aujourd’hui.

Et nous, par quoi sommes-nous contaminés ?

L’existence du pipeline prenait soudain une dimension fantasmagorique et obsessionnelle propre au capitalisme et à son système de croyances. Il symbolisait le pouvoir de l’économie pétrolière qui ne cesse de s’étendre sur la surface terrestre, produit d’une civilisation basée sur la force et le progrès technique. Dominer, construire, occuper l’espace vide, conquérir, éliminer ce qui n’a pas de fonction immédiate…

Objet démesuré inventé par les hommes pour utiliser la mémoire fossile de la terre, le pipeline relie le monde de la surface à celui des profondeurs. Son flux traverse l’espace et le temps en transportant les résidus préhistoriques expulsés du sol pour être transformés. Il est l’instrument du prolongement de la violence exercée sur les communautés Amérindiennes et les souillures des fuites récentes ne peuvent que rappeler de manière douloureuse la tâche indélébile du génocide. Sa forme longue, comme infinie dans le paysage, son flux continu, dégagent une force mystérieuse et répulsive. Visible et invisible, selon qu’il soit en surface ou enterré, son « être » obscur rampant dans les entrailles de la terre contient en germe la peur d’un futur empli de laideur, de saleté et de mort.

Les effets de la contamination en cours touchent la nature du sol autant que celle des corps et des esprits. L’eau potable sera salie comme l’est encore la mémoire. Dans le passé, les terres fertiles avaient été volées, les terres qui restent seront polluées et contaminées. Le pipeline est connecté aux couches géologiques, aux eaux souterraines filtrées par les roches, à la mémoire des morts enterrés. Il ouvre le réel à l’invisible, à ce qui est caché, irrévélé, inexpugnable et secret.

C’est sur ce point de tension entre le visible et l’invisible que s’amorce ma recherche. La preuve de la contamination peut être portée par une investigation documentaire rigoureuse des traces dans les territoires occupés par Keystone XL et simultanément cette quête peut s’ouvrir à ce qui est enseveli, caché et encore potentiellement en devenir.

Je désire écrire un récit hanté par la mue du territoire et par les résistances du vivant fondé sur une synchronicité entre approche documentaire et approche fictionnelle. Produire l’archive d’un moment particulier de l’histoire en entremêlant dans l’immensité du paysage américain, le temps accéléré de l’économie aux temporalités spécifiques des écosystèmes.

Cécile Hartmann, janvier 2019

 

Cécile Hartmann : Le Serpent Noir

Commissaire : Caroline Cournède

Exposition jusqu’au 18 juillet 2021

MABA

16, rue Charles VII

94130 Nogent-sur-Marne

https://www.fondationdesartistes.fr/lieu/maba/

Le Serpent Noir ouvrira au public dès lors que les directives gouvernementales le permettront et sera présentée jusqu’au 18 juillet 2021.

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