Cela faisait bien deux ans que je voulais exposer le travail de Jimmy Nelson. Mais je ne sais pas pourquoi, j’avais peur que ma clientèle, habituée à des images plus glamour, n’adhère pas à son travail. J’ai donc attendu, attendu et il y a cinq mois, alors que je m’étais résolu à prendre ce risque, à prendre mon téléphone, à l’appeler, j’ai reçu un email du bureau de Jimmy me disant : on a entendu parler de toi et de ta galerie, veux-tu être notre agent en France ? Forte coïncidence. Timing parfait.
Quand je contacte un artiste qui vit à l’étranger, on se parle au téléphone ou par email et souvent on ne se rencontre que le jour où il vient à Paris pour son vernissage. Dans le cas de Jimmy, et pour la première fois depuis 16 années de galerie, j’ai ressenti le besoin d’aller à sa rencontre avant de l’exposer. Cela s’est imposé comme une évidence, je devais connaitre le bonhomme avant de montrer son œuvre. C’est ainsi qu’au mois de juin j’ai pris mon petit Thalys pour Amsterdam ou l’artiste anglais a élu résidence pour découvrir l’animal… Et bien m’en a pris.
Jimmy Nelson a grandi en parcourant le monde, au sein d’une famille de voyageurs. Son père était géologue pour une société pétrolifère. Ce job a amené la famille Nelson à changer de pays régulièrement.
A l’âge de 17 ans, suite à un traitement contre la malaria, il perd toute sa pilosité (cheveux, sourcils, etc). Son côté rebelle le pousse à quitter sa famille et à prendre la direction du Tibet. Son absence de cheveux le fera passer pour un véritable moine tibétain surtout lorsqu’il décide de s’habiller comme eux ! Il y passera un an et pour survivre se procurera un vieil appareil photo russe avec lequel il réalisera quelques reportages pour la presse. Ce sont ses premières photos. S’en suivra une vie trépidante d’aventurier qui le mènera, très jeune, en Afghanistan, Pakistan, Somalie, Iran, Guatemala, Yougoslavie, etc, etc. Une espèce de Tintin reporter, vivant de clichés publiés dans les journaux.
A 24 ans, il rencontre sa femme en Grèce. Très directe, celle-ci lui dit« You have one week to make money or I go with the neighbor ! » (NDLR, « Tu as une semaine pour trouver de l’argent ou je pars avec le voisin !) . Il décide alors de se bouger les fesses, développe son travail photographique et se range du côté de la photographie publicitaire & le lifestyle.
C’est à la fin des années 90 qu’il a l’idée de repartir sur la route pour photographier les humains qui peuplent notre planète. Mais ce n’est qu’en 2010, après avoir rencontré un businessman hollandais prêt à le financer ($1,000,000), qu’il lance son projet « Before They Pass Away » dont il déclare : « Ce n’est pas du reportage, ce n’est pas du documentaire, c’est de la beauté, de l’émotion, du partage. Il faut faire de belles images pour que les gens aient envie de les voir. » A l’arrivée, 5 ans de travail, 35 tribus approchées, 5 semaines passées avec chacune, un travail de fond et d’approche exceptionnel avec des questions qui se posent : comment trouver, approcher, se faire accepter, expliquer ce qu’est une photographie à quelqu’un qui ne parle pas votre langage ?
Le résultat est bluffant. Shootées sur du film 4×5 inches avec un appareil « custom » fabriqué par Nelson lui-même, ces portraits sont criants de vérité sur ce que sont aujourd’hui ces hommes reclus aux quatre coins du globe. L’artiste ne s’en cache pas : ses images sont montées, sont posées, les modèles sont habillés, coiffés, arrangés, mais avec leurs propres vêtements, leurs propres bijoux…
Malgré cela, certains critiques lui reprochent un certain manque de vérité. Mais la beauté des sujets est trop importante pour Jimmy Nelson. Toute sa vie il a vu des reporters photographier des tribus dans leur quotidien, souvent sales, mal peignés, avec de la poussière un peu partout… Lui les a voulus beaux !
Depuis la sortie de son livre, Jimmy Nelson est invité à prendre la parole dans de nombreuses conférences. Récemment, c’est la Nobel Foundation qui a fait appel à lui. Dans les 5 prochaines années, 25 musées ont exprimé le souhait de montrer son travail. Un film est en préparation sur Jimmy ainsi qu’une série d’émissions comparant notre société un peu « borderline » avec les sociétés qu’il a rencontrées. Il ajoute : « Je ne suis pas un anthropologue, je n’en ai pas les qualifications, mais j’ai l’expérience du terrain. Un jour j’ai montré la carte du monde à 80 anthropologues. Aucun d’eux n’était allé là où j’étais allé. Leur connaissance de l’anthropologie s’est faite dans les bibliothèques. La mienne s’est faite avec ces tribus, sur le terrain, je les ai rencontrées. ».
Arnaud Adida
EXPOSITION
Before They Pass Away
Jimmy Nelson
Jusqu’au 28 novembre 2015
A.galerie
4 rue Léonce Reynaud
75116 Paris
France
http://www.a-galerie.fr
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