Je me suis mis en tête de visiter le Tate Modern durant le week-end. Je voulais enfin voir la mise en oeuvre de Taryn Simon, A Living Man Declared Dead. J’avais déjà feuilleté le livre plusieurs fois et je m’étais demandé si je devais ou non l’acheter – en raison de son poids considérable. Je ne pouvais pas reporter la visite plus longtemps.
Je suis entré au musée par l’entrée du fleuve et j’ai découvert un nouvel écran dans la galerie de niveau 2 de manière inattendue, un espace dédié aux artistes émergents et internationaux récemment établis. La première partie de mon après-midi fut consacrée à la visite du Tate.
Contested Terrains fut conjointement organisé par Kerryn Greenberg du Tate et Jude Anogwih du Centre d’Art Contemporain de Lagos, présentant l’oeuvre d’Adolphus Opara, Michael MacGarry, Sammy Baloji et Kader Attia. J’ai été frappé par la vision claire et la diversité du travail de ces artistes si fortement enraciné dans l’histoire du continent africain, encore en mesure d’atteindre et de se connecter à son présent. Ils visent à subvertir des hypothèses stéréotypées sur la culture et les traditions africaines en analysant des questions spécifiques du passé complexe et multiforme et l’identité du pays. L’Afrique a longtemps été affectée et façonnée par les conflits économiques et les intérêts du pouvoir ainsi que par des positions idéologiques. L’oeuvre d’Opara, de MacGarry, de Baloji et d’Attia révèlent comment l’Afrique est encore à bien des égards, et selon divers aspects, un terrain contesté, où la vérité historique n’a pas encore été découverte et confirmée.
Avec sa série photographique Emissaries of an Iconic Religion (2009), Adolphe Opara aborde les erreurs d’interprétations très diffuses sur les pratiques religieuses traditionnelles au Nigeria. La spiritualité africaine a été pervertie par les colons pendant des décennies et même de nos jours, elle est encore rétrogradée au rang de simple folklore. L’importance des philosophies autochtones et des systèmes de croyance a été systématiquement ignoré et nié. Les portraits grands formats d’Opara sur des devins nigérians adoptent les codes formels du portrait de la post-indépendance du Nigeria et les conventions de compositions classiques de la peinture européenne. Ses portraits de devins des régions d’Osun Osogbo dans le Sud-Ouest Nigerian nous font part des symboles et des récits des croyances religieuses locales de même que de leur pertinence et de leur fonction au sein de la communauté. Opara présente les divinités spirituelles de l’Orissa Yoruba dans une lumière digne et puissante, sur des poses d’autorité.
Michael MacGarry étudie les conséquences sociales et économiques de l’impérialisme passé et contemporain sur les communautés locales africaines. Ossuary (2009-2010) se compose de sculptures en ivoire qui permettent d’identifier les valeurs et les préoccupations de la société contemporaine : la violence, la santé, l’éducation et les affaires sous la forme d’un navire porte-conteneurs, d’un derrick, d’un fusil d’assaut, d’un coup de poing américain, d’objets de luxe, d’une aiguille hypodermique ou de lunettes.
L’installation de Kader Attia avec ses deux canaux vidéo Open Your Eyes (2010) poursuit l’exploration des tensions culturelles entre passé et présent, tradition et modernité, traitant du détournement des visions sur l’esthétique et la fonctionnalité. Sur les deux écrans clignotent des séquences d’images anormalement associées – des objets de la collection du Musée Africain ayant besoin « d’être fixés » juxtaposés avec des portraits de soldats blessés pendant la Première Guerre mondiale. Les séries d’images montrent des objets africains provisoirement réparés par l’autochtone qui privilégie l’aspect pratique et la fonctionnalité sur l’esthétique; des visages des anciens combattants qui ont déjà subi des pratiques de chirurgie esthétique rudimentaires, des méthodes de restauration occidentale appliquée à des objets du musée ethnographique, et enfin… les photographies historiques de modifications corporelles dans les traditions africaines telles que les lèvres et lobes d’oreilles étirés ou scarifiés.
Ces mêmes questions se retrouvent au cœur de Mémoire (2006), une série de Sammy Baloji, un artiste présélectionné par le Prix Pictet. Ses œuvres ne sont pas de simples représentations de la réalité mais des photomontages caractérisés par la superposition d’images d’archives en noir et blanc des mines de l’Union Minière du Haut Katanga prises au meilleur moment du business de l’exploitation minière congolaise sur des images couleurs contemporaines des mines et des infrastructures industrielles en ruine, révélant des paysages dévastés. Baloji commente: « Pour empiler le passé sur le présent, il faut avoir la volonté de dénoncer les abus du passé et du présent. »
Il s’agit d’un mémoire sur le ralentissement économique au Congo en raison de l’exploitation impérialiste cupide des ressources du pays durant la période coloniale. L’artiste, avec cette oeuvre, se réfère sévèrement aux effets toujours en cours du capitalisme mondial sur l’identité africaine et sur son avenir.
Contested Terrains est une petite exposition de talents intéressants et j’ai vraiment apprécié de la découvrir. Après sa venue à Londres, l’exposition sera présentée au Centre d’Art Contemporain de Lagos au Nigeria, où il sera exposé du 21 Janvier au 3 Mars 2012.
Elisa Badii
Tate Modern
Bankside
London SE1 9TG
020 7887 8888