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Lola Alvarez Bravo à la Maison de l’Amérique latine

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La Maison de l’Amérique latine présente jusqu’au 12 décembre la première exposition en France dédiée à Lola Álvarez Bravo (1903-1993), l’une des plus incontournables photographes mexicaines du XXème siècle. Elle fut une figure de la renaissance artistique qui a suivi la révolution mexicaine de 1910, tout comme Tina Modotti, Frida Kahlo, Diego Rivera et Manuel Álvarez Bravo, qu’elle épouse en 1928 et avec lequel elle vit jusqu’en 1934.

On connaissait l’œuvre de Manuel Álvarez Bravo, montrée à plusieurs reprises en France et connue depuis les années 1930, notamment à travers l’intérêt que lui avaient porté les Surréalistes. Aujourd’hui, une exposition présentée à la Maison de l’Amérique latine* met en lumière Lola qui a un temps partagé la vie de Manuel tout en restant injustement dans l’ombre. Dans le contexte d’une histoire de la photographie redessinée autour des femmes (le Musée d’Orsay leur consacre en ce moment même une importante exposition), Lola Álvarez Bravo nous apparaît comme une créatrice inspirée et très productive, mais jouant également un rôle non négligeable dans l’essor de l’art moderne au Mexique.

Ainsi que le rappelle l’historien de l’art américain Douglas R. Nickel, auteur de la préface d’un livre aux éditions Aperture consacré à la photographe, Lola Álvarez Bravo « a commencé sa carrière de photographe au milieu du ferment artistique et politique qui a suivi la révolution mexicaine. Dans les années 1920 et 1930, elle a évolué aux côtés de Diego Rivera, Frida Kahlo, David Alfaro Siqueiros et José Orozco. Le gouvernement socialiste a su promouvoir la liberté intellectuelle et attribuer un plus grand rôle public à l’art, ce qui a attiré au Mexique des personnalités culturelles du monde entier ». On imagine ainsi le contraste avec les dernières années de la dictature du président Porfirio Díaz au cours desquelles Lola a grandi. Aujourd’hui, elle est souvent présentée comme la première femme photographe du Mexique, et ce sont certainement ses rencontres avec une très large palette d’artistes et d’écrivains, qu’ils soient mexicains ou venus d’ailleurs, qui ont façonné son approche de la photographie. Elle s’initie à cet art en compagnie de Manuel Álvarez Bravo, dont la formation s’est enrichie grâce à sa rencontre avec Tina Modotti. Les historiens s’accordent pour souligner le rôle crucial que cette dernière a joué avec Edward Weston dans l’éclosion d’une photographie moderne au Mexique. Si Lola Álvarez Bravo n’a pas connu Edward Weston, la biographe de Tina Modotti, Margaret Hooks, rapporte le lien que les deux femmes ont entretenu et en particulier le soutien que Lola a apporté à Tina au moment où cette dernière a été contrainte de quitter le pays.

Dans les biographies de Manuel Álvarez Bravo, Lola n’est en général pas mentionnée s’agissant des relations qu’elle a pu avoir avec Tina Modotti ; quand son nom n’est d’ailleurs pas totalement absent. Elle ne figure qu’à de rares occasions dans les histoires de la photographie et en dehors du Mexique, ce n’est que très récemment que son existence et son œuvre ont pu être appréciées à leur juste valeur. Une rétrospective significative est organisée en 1992 à Mexico un an avant sa disparition. Il est vrai qu’il demeure difficile de considérer Lola indépendamment de Manuel. Ils appartiennent à la même génération – Manuel est né en 1902, Lola en 1903 -, leur entrée en photographie coïncide avec le début des années 1920. Ils fréquentent les mêmes artistes, font souvent le portrait des mêmes personnalités (Diego Rivera et Frida Kahlo bien sûr, mais aussi Octavio Paz, Carlos Fuentes ou Juan Soriano). Les spécialistes de la photographie mexicaine rapprochent souvent des images de Manuel et de Lola, dont la forme et le sujet tendent à se confondre, de sorte que l’on ne sait pas vraiment qui des deux a influencé ou inspiré l’autre. Mais ce qui ressort particulièrement chez Manuel et Lola, au-delà de cadrages et de compositions très proches d’un point de vue formel, c’est un goût indéfinissable pour des scènes empreintes de mystère, voire de fantastique. Une photographie de Lola montrant une femme en robe blanche allongée sur un tronc d’arbre et intitulée « Le songe » (1941), ne fait-elle pas penser à la célèbre « Bonne renommée endormie » de Manuel (ca. 1938) ?

Mais à étudier de près l’œuvre de Lola, on peut rapidement se détacher de la tentation des comparaisons avec celle de Manuel. Elle s’en distingue en premier lieu par une diversité de pratiques dont certaines comme le photomontage ont probablement été inspirées par les avant-gardes européennes – James Oles, le commissaire de l’exposition de la Maison de l’Amérique latine, précise qu’elle est la première artiste à importer au Mexique le photomontage -. Lola semble à travers ce type de travail développer un art beaucoup plus engagé politiquement que celui de Manuel. Si ses photomontages illustrent entre autres le progrès industriel et le développement urbain, c’est le plus souvent sous un angle critique. Par ailleurs, son activité de photographe la destine à répondre régulièrement à des commandes de magazines et d’institutions publiques dont les projets consistent à documenter différents aspects de la société mexicaine. Elle illustre les pages d’El Maestro Rural, un magazine dont la vocation est essentiellement pédagogique. Par ailleurs, Lola photographie de nombreuses personnalités du monde artistique et littéraire : sa galerie de portraits révèle une approche souvent très sensible de ses sujets, livrant des images plus variées et plus travaillées que ce qu’a pu réaliser Manuel dans ce domaine. Parmi les figures artistiques féminines qu’elle a régulièrement fréquentées, il en est une qui incarne aujourd’hui une véritable légende ; il s’agit de Frida Kahlo à qui elle consacre plusieurs séries de photographies évoluant entre portrait et reportage. Elle les réalise au cours des années 1940 et 1950, jusqu’à photographier l’artiste sur son lit de mort en 1954. Ce témoignage est évidemment précieux. Lola signe plusieurs clichés qui font date et référence si bien qu’un ouvrage les réunit en 1991 et témoigne de la complicité des deux femmes – il faut en marge noter que Lola avait organisé la première exposition des œuvres picturales de Frida Kahlo en 1958 -. Mais ce n’est pas dans ce contexte que Lola donne toute la mesure de son talent et de sa sensibilité car la personnalité exceptionnelle du sujet mobilise toute l’attention et relègue en fin de compte au second plan la photographie. Ce n’est peut-être pas non plus dans son travail de commande que Lola exprime pleinement la vision poétique qui caractérise son style. La poésie semble surgir de façon inopinée au détour d’une rue ou d’un voyage à travers la campagne. Elle n’obéit pas à des règles esthétiques mais s’impose là où on ne l’attend pas. Et dans cette conception de la photographie réside évidemment quelque chose qui relève de l’esprit surréaliste et la rapproche en même temps de ce que l’on pourrait appeler une école photographique mexicaine.

Gabriel Bauret

* Exposition organisée en collaboration avec la Fundación Televisa qui possède, au Mexique, une importante collection de tirages de Lola Álvarez Bravo et présentée jusqu’au 12 décembre 2015.

EXPOSITION
Lola Alvarez Bravo
Photographies / Mexique
Du 23 septembre au 12 décembre 2015
Maison de l’Amérique latine
217 Boulevard Saint-Germain
75007 Paris
France
Tél. +33 (0)1 49 54 75 00
http://www.mal217.org 
Du lundi au vendredi de 10 à 20h, samedi de 14h à 18h.
Fermé les dimanches et jours fériés.
Entrée libre.

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