Son aptitude à se camoufler et à se rendre invisible a fait de Liu Bolin l’événement le plus spectaculaire et le plus remarquable de la biennale photographique de Moscou qui se déroule de mars à mai. Il ne s’agit pas d’un paradoxe. Son exposition à la Fondation Ekaterina s’avère de loin la plus intéressante de la manifestation. Pour l’instant, car toutes les expositions ne sont pas encore ouvertes. Les photographies de l’artiste chinois – toutes de très grand format – occupent trois vastes salles. La première nous plonge dans la Chine des années 2000. Sur toutes les photos, on distingue un homme posant debout, minutieusement repeint de manière à imiter exactement le fond de l’image. On croit d’abord lire un manifeste politique, tant le personnage parait engloutit, digéré, absorbé et effacé par son environnement. Cet environnement, c’est le fond de la photographie : le drapeau du parti communiste chinois, un mur d’usine, des slogans politiques, et même un policier peu amène, qui saisit le modèle ou place les mains devant ses yeux. Le sens de la photographie vient exclusivement du second plan de la photographie. L’unique exception est justement celle du policier qui, bien que réduit au rôle de fond, interagit avec le premier plan, c’est-à-dire l’homme debout. Manière de déshumaniser complètement le policier, devenu matière inerte. On perçoit l’homme broyé par un environnement niant son individualité. Il ne fait pas seulement partie du décor, il doit s’y fondre, s’y laisser annihiler. Liu Bolin semble nous dire qu’il se trouve pris dans une civilisation régie par une idée fondamentalement anti humaniste. Mais plusieurs éléments mettent en doute cette interprétation trop tragique du travail de Liu Bolin. Après tout, le modèle se tient debout les yeux fermés, il est toujours seul. Ne serait-ce pas simplement un camouflage, une ruse pour échapper à l’idéologie dominante ? Liu Bolin explique qu’une large partie de son travail consiste à interroger la dialectique entre l’individu et la société. Celle-ci varie sans cesse. « Il reste toujours quelque part un espace de liberté », conclu-t-il. Les deux salles suivantes révèlent un Liu Bolin qui s’est échappé de sa Chine pour se fondre dans le paysage urbain européen. « Quand j’ai travaillé en Europe » explique-t-il, « j’ai réalisé qu’avant tout j’étais un Chinois, puis un artiste, en enfin un tout petit individu ». Et de se fondre dans le décors de la Scala de Milan, dans un rayon de supermarché, sur un fond de produits de consommation trop parfaitement agencé. A Moscou, l’artiste a décidé de poser dans le Musée d’Art Multimédia de Moscou devant un fond constitué de journaux russe qu’il a lui-même sélectionné. Entouré d’assistants et d’artistes qui préparent le décor. Quand on lui fait remarquer qu’il se contente de poser, Liu rétorque qu’être artiste contemporain, c’est travailler un concept, et non des matériaux. Emmanuel G Jusqu’au 13 mai à la Fondation Ekaterina dans le cadre de la photobiennale 2012. (9ème mois de la photographie à Moscou) Kuznetsky most st. 21/5, Moscow, Russia, 107996 Téléphone 8 4956215522
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