La galerie new yorkaise Nailya Alexander expose pour la première fois un ensemble de photographies argentines des années 30 à 50, réunies sous le titre Light of Modernity in Buenos Aires (Lumière de la Modernité à Buenos Aires). L’exposition présente une quarantaine de tirages vintages d’Horacio Coppola, Grete Stern, Annemarie Heinrich, Anatole Saderman, Juan Di Sandro et Sameer Makarius, les pères de la modernité photographique en Argentine.
A partir des années 30, et jusque dans les années 50, l’Argentine voit arriver d’Europe des photographes apportant une nouvelle vision du medium, qui va renouveler le genre et participer à son inscription dans l’histoire de l’art.
Horacio Coppola, le seul d’entre eux d’origine argentine, quitte Buenos Aires en 1932 pour Londres, où il réalise les clichés présentés dans l’exposition lors de son court séjour. Jusque là autodidacte en photographie, il se rend à Berlin pour y étudier au Bauhaus. Il y rencontre Grete Stern, qui deviendra sa femme. Elle est alors la comparse d’Ellen Auerbach au Studio « Ringl + Pit » qui insufflent un air de subversion dans la publicité et le regard sur la femme, posture que l’on retrouvera dans ses photomontages de la série Sueños.
Fuyant la montée du nazisme, Coppola et Stern s’installent à Buenos Aires en 1935. Tous deux influencés par l’esthétique du Bauhaus et par leur travail avec Walter Peterhaus, tant dans les thèmes abordés que dans le cadrage ou les effets d’ombres et de lumière, ils seront considérés de ce fait comme les initiateurs de la modernité photographique en Argentine. Coppola deviendra principalement célèbre pour ses images de Buenos Aires et Stern pour la série Sueños (Rêves), dont l’exposition à la galerie Nailya Alexander présente plusieurs œuvres.
Publiés entre 1948 et 1951, les photomontages qui forment la série étaient destinés à illustrer la rubrique « La psychanalyse vous aidera » du magazine féminin Idilio (Idylle). Inspirés des rêves racontés par les lectrices, ils sont avant tout l’expression de la vision de Grete Stern du rôle et de la place de la femme dans la société argentine de l’époque, une position sans précédent dans la photographie.
Annemarie Heinrich, de son côté, immigre d’Allemagne avec sa famille en 1926, alors qu’elle est encore adolescente. Ne parlant pas l’espagnol, elle cherche un métier à pratiquer qui ne nécessiterait pas la maîtrise de la langue et apprend la photographie auprès de son oncle, photographe de village. A 18 ans, une pièce de la maison familiale devient son premier atelier. Profitant de l’ascension du show business et de la mode dans les années 30, elle devient la photographe incontournable des stars durant les décennies suivantes et se spécialise dans un style glamour très hollywoodien. Parallèlement elle développe un travail personnel plus moderne, exprimant sa créativité à travers les explorations techniques, de l’exposition multiple à la sculpture de l’ombre et de la lumière, en passant par des jeux optiques ou métaphoriques aux résonances surréalistes.
Egalement connu pour ses portraits, Anatole Saderman est l’ami des peintres et des écrivains : Borges, Berni, De La Vega, Torres Garcia, Sabato sont autant d’illustres artistes et intellectuels qu’il a photographié. Mais ce sont des images de la série du livre de botanique Merveilles de nos plantes indigènes (Maravillas de nuestras plantas indígenas) d’Ilse von Rentzell, qui sont présentées dans l’exposition. En 1934, deux ans après s’être installé à Buenos Aires – immigrant de sa Russie natale via l’Allemagne, le Paraguay et l’Uruguay – il fait le portrait de plantes locales sans connaître l’existence des travaux de Karl Blossfeldt, avec qui la similarité formelle est étonnante.
Juan Di Sandro, arrivé d’Italie en 1910, est considéré comme le premier photojournaliste important d’Argentine. Il entre au journal La Nación comme apprenti en 1914 à l’âge de 16 ans et y travaillera toute sa vie, jusqu’à l’ascension de la dictature militaire en 1976. Son travail est non seulement le témoin des changements politiques, économiques et sociaux importants en Argentine durant la plus grande partie du XXe siècle, mais aussi le témoin de la naissance et du développement du métier de photographe de presse et des transformations en profondeur que celui-ci a opéré dans la culture visuelle.
Sameer Makarius enfin, de mère allemande et père égyptien arrive de Hongrie en Argentine en 1953. Tout comme Coppola, sa carrière est marquée par un portait inlassable de Buenos Aires, qu’il choisi comme sa ville, de ses habitants et de ses coutumes. Il est entre autre l’auteur d’un important travail documentaire et artistique sur les abattoirs au cours d’une journée de 1961.
A son arrivée en Argentine Makarius intègre le groupe d’artistes La Carpeta de los Diez (Le dossier des dix), dont font également partie Juan Di Sandro, Anatole Saderman et Annemarie Heinrich, entre autres. Le groupe s’assignait une fois par mois un thème à travailler et chaque membre apportait au « dossier » une image soumise à la critique du groupe. Les expositions qu’ils organisent durant les années 50 seront les premières en Argentine à présenter la photographie comme un art et à innover dans le format (grand pour l’époque) et les sujets exposés.
L’exposition est accompagnée d’un catalogue et d’un texte de Valeria Gonzales, historienne de l’art et spécialiste de la photographie argentine.
Catherine Tanazacq de Stigliano
Light of Modernity in Buenos Aires
Jusqu’au 11 janvier 2012
Nailya Alexander Gallery
Fuller Building
41 East 57th Street, Suite 704
New York, NY 10022
11h à 18h, du mardi au samedi et sur rendez-vous.