Le sculpteur Henry Moore avait plus de 80 ans en 1983. A quatre heures de l’après-midi, j’étais dans sa propriété aux abords de Londres, il commença à neiger. Il allait bientôt faire nuit. Je me suis dit que la neige pourrait produire un effet intéressant en s’accumulant pendant la nuit. Je dis à Todd Brewster, un écrivain qui était avec moi : « Revenons à l’aube ». C’était merveilleux. La neige tombait toujours, et tout était immaculé. Moore conservait plusieurs statues dans ses champs. Les moutons des voisins broutaient autour d’elles et restituaient leurs dimensions.
L’une des sculptures était appelée Sheep Piece (Pièce du mouton), mais les moutons étaient à l’autre bout du champ. Je suis allé vers eux mais je viens de New York. Ils s’éloignèrent. Je me tournais vers Todd : « Todd, tu t’en sortirais ? » Il s’approcha d’eux, et soit parce qu’il avait grandi dans l’Indiana, soit parce qu’il sentait la bonne odeur, ils le suivirent jusqu’à ce qu’il se soit glissé derrière la sculpture. Tous les moutons se tenaient autour de lui, ravis. Je fis une photo merveilleuse.
Je n’y serais pas arrivé sans Todd. Je n’aurais pas pu la faire non plus sans les moutons – donc je les remercie, eux aussi. Je n’y serais pas parvenu sans Henry Moore et ses sculptures. Ou sans Dieu qui a répandu de la neige sur cet ensemble. J’aime pouvoir me vanter de ce qui constitue ma signature personnelle et savoir où s’arrête l’influence des événements dans mon travail, mais je crois que vous devez être très humble pour pouvoir exercer le métier de photographe.
(Interview du 22 mai 1993. Par John Loengard, LIFE Photographers: What They Saw, Boston, A Bullfinch Press Book, 1998)