Deux ans après la disparition de Lewis Baltz, l’un des pères fondateurs de la photographie conceptuelle et représentant essentiel du mouvement des New Topographics, le Musée des Arts Contemporains de Bruxelles lui rend hommage en présentant les Sites of Technology (1989-91), série emblématique de l’artiste américain qui dénonce les travers d’une société technoscientifique où l’invisible règne en maître.
Observateur critique des altérations du monde, Lewis Baltz est fasciné à la fois par l’architecture et la technologie comme paradigme de la destruction humaine. À partir des années 1970, il révolutionne la photographie de paysage qui, à travers son regard acéré, se mue en un espace “témoin” de l’emprise grandissante des zones industrielles et d’habitations sur les espaces naturels.
Né en 1945 à Newport Beach en Californie, Lewis Baltz étudie la photographie à l’Art Institute de San Francisco de 1966 à 1969. Il prend ses premières photos à l’adolescence. Déjà conceptuelles, ces œuvres précoces en noir et blanc, d’une “précision scientifique”, seront baptisées Protoype Works. Aux nus et aux natures mortes succèdent rapidement, dès 1967, des sujets témoignant d’un « monde nouveau qui était en train de naître » fait de pavillons résidentiels déprimants, Tracts Houses (1969-71) et de zones industrielles (The New Industrial Park Near Irvine, 1974-75). À 26 ans, il expose pour la prestigieuse galerie de Leo Castelli, devenant par là même le premier photographe à être représenté par le galeriste new-yorkais.
Lewis Baltz prend part, en compagnie notamment de Bernd et Hilla Becher et de Stephen Shore, à l’exposition photographique New Topographics : Photographs of a Man- Altered Landscape organisée en 1975 à la George Eastman House de Rochester par William Jenkins. Cet évènement marque un tournant dans la photographie d’art qui, dès la fin des années 1970, s’approprie le mode documentaire. Avec les séries Maryland (1976), Park City (1978-81) et Nevada (1977), Lewis Baltz interroge l’architecture en tant que reflet d’une société en transition. À partir de 1988, il opère ce qu’il appelle lui-même un « changement de paradigme » et, travaillant en France, en Italie et au Japon, il produit désormais des images le rapprochant de ce qui devient l’épicentre de la société contemporaine : les technologies avancées.
Parfaitement représentative de cette évolution, la série des Sites of Technology (1989-91) se compose d’un ensemble d’espaces intérieurs industriels dits “propres” : des locaux du Centre national de météorologie de Grenoble, des bureaux vides chez Mitsubishi, chez Air France ou Toshiba, une chambre anéchoïque de France Télécom, un superordinateur du CERN, un bassin nucléaire ou encore des serveurs de la Redoute à Lille… Sous le regard de Baltz, ces espaces high-tech flambants neufs affichent leur aspect clinique et inhumain pour interroger le regard. La fonction de ces salles immaculées peuplées de codes et de données nous échappe puisqu’à l’aide de l’imagerie électronique, la technologie devient invisible. Plus on regarde ces sites, moins on en comprend le fonctionnement.
L’artiste nourrit son propos conceptuel par une démarche plastique en évolution. En effet, la photographie couleur qu’il utilise ici pour la première fois dans une série complète devient un langage esthétique à part entière. Au choix de la couleur s’ajoutent, chez Lewis Baltz, des préoccupations politiques claires que sert un art de plus en plus conceptuel dans les années 1990. Ses tirages qui ne possèdent plus la distance élégante du noir et blanc inquiètent. Les grands formats employés pour les Sites of Technology renforcent la dimension immersive de l’œuvre et nous plongent au cœur d’une science-fiction de l’aujourd’hui. Puisant dans l’univers pictural de Gerhard Richter, de John McLaughlin ou encore de Sol LeWitt, les Sites of Technology traduisent l’inquiétude de Lewis Baltz face à la dépendance et la vulnérabilité de l’homme.
Jérôme André
Jérôme André est responsable du service conservation au Musée des Arts Contemporains de Bruxelles, en Belgique.
Lewis Baltz, Sites of Technology 1989-91
Musée des Arts Contemporains (MAC’S)
19 février au 21 mai 2017
Site du Grand-Hornu
Rue Sainte-Louise, 82
B-7301 Hornu
Belgique