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Les Nuits Photographiques

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La cinquième édition du festival « Les Nuits Photographiques » s’installe de nouveau au pavillon Carré de Baudoin du 18 septembre au 12 décembre 2015 avec une programmation riche. Toujours à l’écoute des nouvelles pratiques de la photographie et des croisements des médiums, le directeur Guillaume Chamahian répond à nos questions.

Marine Cabos : C’est la cinquième édition des Nuits Photographiques. Cette année le festival ouvre ses portes avec trois soirées de projections dédiées au film-photographique, et surtout une commande de création autour du thème « Money », accompagnée d’une exposition solo de Stefen Chow traitant de la pauvreté dans le monde. Quelle est la ligne directrice entre ces thématiques ?

Guillaume Chamahian : Les soirées de projections et les expositions sont deux choses différentes. La première est un temps court et dense sur trois jours où le public visionne en extérieur près de vingt films par soirée, l’autre est une déambulation, visible pendant trois mois. Le fil rouge entre les deux est véritablement la présence importante de travaux documentaires et de créations multimédias.
J’ai lancé le festival il y a cinq ans avec les soirées de projections consacrées à la photographie présentée sous forme de vidéo, la photographie pensée pour l’écran ; pas un simple diaporama mais un vrai travail de narration, d’écriture à partir de sons et de mots et une maitrise technique du montage. Je ne souhaitais pas de thématique, non seulement parce que la production de film-photographique n’était et n’est toujours pas assez conséquente pour remplir une programmation mais surtout j’aimais l’idée que le public passe d’un film à l’autre sans lien entre eux. Cette année par exemple le public pourra découvrir un documentaire sur Alep de Jérome Sessini, un film d’animation enfantin de Cécile Rogue, un film psyché sous LSD de Robin Lopvet, un film de Jeoffrey Guillemard sur une femme libertine, une cabine téléphonique France Télécom en train de sonner de Swen Renault et Outland de Roger Ballen…

En 2014, l’équipe de la mairie du 20ème arrondissement de Paris m’a proposé l’espace d’exposition du Pavillon Carré de Baudouin : 400m2 d’air de jeu. J’ai initié une première exposition Histoires avec des photographes qui multiplient les supports : Pierre Liebaert, Augustin Rebetez, Marcel Meyer, Sam Taylor-Johnson…
« Cinq ans ce n’est pas un anniversaire, pas une date à cocher mais juste une fierté : celle d’avoir passé un cap ! » comme le disait Gilles Favier à propos du festival qu’il a fondé : Images Singulières. J’avais envie cette année de passer ce cap avec une programmation engagée et politique. Laisser aux artistes, venant de cultures différentes et dont j’apprécie les travaux, de répondre aux préoccupations du monde dans lequel nous vivons ; dirigé par un système capitaliste qui atteint son paroxysme.
Quel est le rapport qu’ils entretiennent avec l’argent dans leur quotidien, dans leur création et avec leurs interlocuteurs en cette période de maladie ? C’est le rôle des artistes de questionner le public et de répondre à ces questions.

Il y a aussi le travail The Poverty Line de Stefen Chow. J’aime la manière dont il aborde la pauvreté. A la première lecture, ses images sont facilement accessibles pour le plus grand nombre (un aliment posé sur un papier journal) puis il y a une seconde lecture aussi simple d’ailleurs que la première : que peut-on manger en fonction du seuil de pauvreté selon les pays ? La mondialisation ne favorise pas de la même façon les populations des pays qui en bénéficient ou qui la subissent.
Son projet est aujourd’hui participatif. Il présente également une œuvre pour la commande de création.

M.C. : Le festival est particulièrement à l’écoute de la nature changeante de la photographie, aussi l’image fixe, animée et sonore sont toutes au rendez-vous. Pourtant la pratique des techniques anciennes semble plus que jamais présente, comme le prouve les calotypes de Sara Imloul. Quelle sera pour vous la photographie de demain ?

G.C. : Sur une cimaise les calotypes de Sara Imloul et à côté une installation du photographe Jamie Maxtone-Graham présentant photo, vidéo, peinture, manuscrit le tout sous forme d’installation. L’arrivée de la photographie numérique a permis de désacraliser la photographie d’art. Une majorité de photographes, il y a encore 10 ans, se sentaient cantonnés à l’image fixe présentée à la verticale sur un mur.
Les constructeurs ont ajouté la vidéo sur les boitiers, les photographes ont alors essayé. « C’est cool la vidéo. Je vais rajouter du son et pourquoi pas aussi faire des captures d’écran de la vidéo, les tirer, froisser les tirages et les présenter tels quels, posés au sol, à coté d’un écran où est diffusé la vidéo. » Tout ça en moins de 10 ans !

Il y eu bien sûr les créatifs à l’avant-garde qui avaient déjà compris l’intérêt et la force de mélanger les médiums, mais pour la plupart ils n’étaient pas des photographes mais des artistes. Je pense aussi au BAL à Paris qui a su, en multipliant les médiums et en déconstruisant l’accrochage classique, inventer une nouvelle mise en lumière des images et donc de leurs lectures.

Aujourd’hui beaucoup de photographes que je rencontre sont avant tout des artistes multidisciplinaires, même si ils ont encore du mal à reconnaître ce nouveau statut. Il y aura cependant toujours des photographes réalisant des photos argentiques à la chambre, il y a aura toujours des photographies dans un cadre et sous verre et il y aura toujours des livres en papier. La photographie vit une période extrêmement excitante. D’ailleurs, je ne considère plus Les Nuits Photographiques comme un festival de photographie mais un festival dédié aux images. Aujourd’hui tout ce qui nous entoure n’est qu’image. Une image qui d’ailleurs me semble qu’illusion…

M.C. : Parlez-nous de votre partenariat avec Konbini.

G.C. : « Konbini, le site qui parle de créativité et de pop culture ».Je crois que cela résume bien les raisons de notre partenariat. Le festival met en avant le travail de créatifs ; que ça soit dans la programmation de l’exposition ou dans les vidéos que nous proposons pendant les projections, dans la charte graphique des éléments de communication, dans les producteurs de musique qui viennent mixer pendant les soirées… C’est l’ensemble de cette masse créative qui constitue l’identité du festival et le tout ventilé par des artistes nourris à la pop culture.

M.C. : Depuis ses débuts, le festival a décerné des prix pour encourager la création artistique. Quels sont les critères entrant en compte dans la sélection des gagnants ?

G.C. : La sélection des films-photographiques se fait en deux parties. Le festival a reçu cette année 296 dossiers. La première sélection, je la fais seul. Je n’ai pas de contrainte en terme de nombre de films à choisir. Je ne garde que les très bons. J’en avais sélectionné 19 l’année dernière, cette année 37. Mes critères sont les suivants :
– La pertinence du choix du sujet et la résonance de l’œuvre avec notre époque.
– La cohérence entre le sujet et la manière dont l’image est utilisée pour en offrir la meilleure narration.
– La qualité technique du film : montage, son, qualité des images.
– L’envie de revoir le film plusieurs fois et d’en parler.
Ensuite il y a une délibération pour sélectionner le prix LNP avec les membres du jury qui viennent d’horizons différents, qui ont chacun leurs propres critères et leur « chouchou » qu’ils défendent coûte que coûte. C’est souvent houleux mais drôle.
Cette année je suis très content d’avoir initié, avec l’équipe de L’Oeil de la Photographie, un prix spécial décerné par ces derniers. Leur choix se fera en interne.
Le jury 2015 se compose de : Pascal Beausse, Valerie Cazin, François Cheval, Lucy Conticello, Pauline Martin, Patricia Morvan, Barbara Polla, Marie-Pierre Subtil, Christine Vidal, Ericka Weidmann, Erick Wojick, Barbara Wolffer et moi-même.

M.C. : Le catalogue de l’exposition Money est pour le moins atypique. Comme n’importe quel catalogue, il présente les artistes participants et leurs œuvres. Mais l’on trouve çà et là des mails ou images aux allures de règlement de comptes (puisque certains artistes ont empoché les 20€, voire plus, sans rien en retour). Quel message souhaitez-vous faire passer en incluant ces documents ?

G.C. : J’ai lancé une commande de création : Le festival Les Nuits Photographiques a envoyé aux artistes un billet de 20 euros par voie postale et les a convié à créer leur valeur ajoutée. Comment souhaitent-ils transformer ou utiliser cet objet ou sa valeu rsymbolique, matérielle ou subjective ? Ils nous ont fait parvenir une réponse sous la forme artistique qu’ils ont souhaité : vidéo, photographie, dessin, sculpture, peinture, installation…

Sur la centaine d’artistes que j’ai sollicité, 42 artistes internationaux ont répondu positivement. J’avais dès le début fait le choix de garder toutes les propositions, que je les pense pertinentes ou non. Certains artistes ont joué le jeu, d’autres moins mais c’est ce qui me semblait intéressant dès le départ. L’esprit créatif et le talent n’est heureusement pas le même selon les individus et il renvoie indirectement à la place des artistes et de la création dans le monde de l’art. C’est aussi ce que je souhaitais questionner.

La parole donnée est quelque chose qui m’est cher. C’est quelque chose que j’ai appris en vivant en Afrique. Quand on s’engage, on doit respecter ses engagements. Puis il y a les relations humaines. Celles que j’entretiens en tant que directeur artistique du festival avec les artistes, sont les mêmes que celles que j’entretiens avec n’importe qui dans la vie. Quand je suis en colère parce que je considère que la personne en face de moi fait faux pas, je lui exprime mon désaccord, sûrement de manière maladroite, voire parfois brutale mais après cela me passe.

L’artiste Thomas Maileander a utilisé ma colère comme outil pour sa proposition qui sinon n’aurait pas vu le jour. Ca se serait résumé à un cartel avec son nom et à coté une ligne blanche tracée sur les cimaises qui représente un cadre vide, comme pour Will Steacy qui m’a confirmé avoir reçu les 20€ et qui a disparu des radars. J’espère seulement qu’il se porte bien. Un des artiste à qui j’ai envoyé la proposition m‘a téléphoné pour me prévenir « si tu m’envoies un billet de 20€, je le mets dans ma poche. » C’est une réponse, une proposition, un geste presque politique.

Puis bien sur, il y a les aléas de la vie… Klavdij Sluban m’a répondu tardivement en s’excusant de ne pas avoir rempli « sa mission ». J’ai gardé comme proposition nos échanges mails puis j’ai, sans son accord, réalisé ce qu’il aurait souhaité faire s’il avait eu le temps et qu’il m’avait exprimé par mail. Quant au photographe chinois Ren Hang, après plusieurs envois postaux qui se sont étalés sur 3 mois et qui m’ont couté 162€, pas mal de temps et d’énergie dépensés, puis la deadline qui était largement dépassée pour lancer toute la communication, il a enfin reçu le billet. Son assistant m’a répondu: « Ren would like to spend the 20€ for himself. » J’étais en colère qui ne prenne même pas la peine de m’écrire lui même. Je trouvais sa démarche irrespectueuse et arrogante. Puis avec le temps, je me suis dis que quelque chose m’avait peut-être échappé dû à nos différences culturelles…

En résumé, pour répondre à votre question : j’en ai rien à faire du statut d’artiste star que certain s’octroie et de leurs caprices. J’essaie de répondre au mieux à leurs souhaits, à leurs besoins. J’ai de l’admiration pour ceux qui s’expriment à travers la création, pour les gens talentueux et je les respecte comme n’importe qui, si on respecte le travail que j’accomplis avec ferveur pour le festival, c’est tout !

M.C. : Étant vous même photographe, si vous aviez un jour reçu un billet de 20€ par la poste en échange d’une création, qu’auriez-vous réalisé ?

G.C. : Je me serais filmé en plan serré et fixe en train de manger le billet.

M.C. : Quel a été votre coup de cœur cette année ?

G.C. : Anders, mon deuxième fils qui vient de naître.

FESTIVAL
5ème édition des Nuits Photographiques
Du 17 septembre au 12 décembre 2015
Soirées de projections : les 17, 18 et 19 septembre 2015
Pavillon Carré de Baudouin
121 Rue de Ménilmontant
75020 Paris
France

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