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Léon Herschtritt, La fin d’un monde

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La photographie de Léon Herschtritt est une épreuve pour la critique. Les séries s’affichent sans que l’on ait besoin de les déchiffrer. Cela va de soi. Une prostituée racole, un soldat bombe le torse et les amoureux de Paris se bécotent sur les bancs. On fait aujourd’hui mérite à un photographe de son originalité. Déconcerter est la règle. Et c’est tant mieux car le conformisme en photographie est sans nuances.

C’est oublier pourtant une des qualités essentielles de ce médium qui est de revoir et de conforter la mémoire. Ici, on retourne sur nos pas. On prend un plaisir certain à réemprunter des voies anciennes. Aujourd’hui, qui se risquerait à dresser le portrait d’un pays, d’une profession, qui se risquerait à figurer la légèreté, la joie de vivre ou la tristesse et le désarroi ? Une photographie qui se fait au gré des humeurs, telle pourrait être la définition simple de l’oeuvre de Léon Herschtritt ? Ce n’est pas si simple. Une épreuve pour la critique ! Car nous sommes mal placés, confrontés à l’agitation d’un présent si mouvementé, pour juger de cette période. Nous revendiquons la liberté du regard et nous ne pouvons nous empêcher de caractériser cette photographie de mélancolique. Mais si nous pouvons un instant refuser le désuet et l’anecdote, nous devons convenir que ce temps-là était en proie au bouleversement. Derrière les apparences futiles, derrière les équivoques, surgissent les prémices d’un avenir sombre, notre présent. En ces temps dits glorieux, dans les années 1960, des nations émergent, une jeunesse se prépare à la rébellion, les grèves se multiplient et le monde se sépare en deux camps. Dans ce qui paraît un cortège de désinvolture, de moments gracieux mais sans profondeur, le photographe rend avant tout compte du mouvement des choses et des hommes. Nous savons aujourd’hui quels troubles ont connus les nations : de la chute des empires coloniaux à la crise de la culture.

Le photographe, faussement humble, rend compte de la fragilité de la société autant que de l’impuissance de la photographie. Ce serait mal connaître Léon Herschtritt que de le voir comme un photographe critique sur son objet. Mais lorsqu’il pose son regard sur un sujet, rien n’est direct. La vision se déplace sur ce qui, apparemment, est accessoire. La photographie ne réside pas dans les réponses qu’elle peut apporter, et offre encore moins des solutions, mais elle interroge ses participants, acteurs ou figurants de ce théâtre. Jamais la photographie n’a été aussi « retorse » pour nous présenter des séries de fausses pistes. Si l’on conçoit cette manière de détourner les choses comme un artifice « humaniste », on se méprend. Léon Herschtritt s’évade de l’évidence tragique, de la démesure et des contrastes accrocheurs pour imposer une photographie lucide, malicieuse et sans acrimonie. Il trouve la juste expression de son travail dans un constat un peu nostalgique, mais acéré et architecturé, sur le fonctionnement des choses et des hommes. Le souci majeur du photographe, c’est la nécessité d’inscrire chaque image dans un récit qui ne doive rien aux grandes oeuvres photographiques qu’il connaît et apprécie. C’est sans honte qu’il exerce le métier de photographe-reporter, confiant dans la qualité brute de l’outil. Les ressources de l’appareil lui suffisent amplement pour exprimer ce qui sourd en profondeur.

Ainsi en va-t-il de l’œuvre de Léon Herschtritt. Elle vit sans à-coup, presque souterraine. La décrit-on, que bien souvent on se méprend. On pense qu’elle rentre dans son déclin. Peu de temps après, on l’exhume. Elle éveille plus que de la curiosité. Et, il est fort possible qu’un jour, elle ne vienne à réveiller l’inquiétude qui l’a fait naître.

François Cheval

François Cheval est le directeur du Musée Nicéphore Niepce de Chalon-sur-Saône et l’un des éminents commissaire d’expositions photographiques français depuis plus de 30 ans.

Léon Herschtritt, La fin d’un monde
Jusqu’au 19 septembre 2016
Musée Nicéphore-Niépce
28 Quai des Messageries
71100 Chalon-sur-Saône
France

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