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Leïla Bousnina : Ulysses

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Ces hommes pouvaient être des cousins, des amis du bled ou des collègues de mon père.

Enfant, ils faisaient partie intégrante de mon environnement familial. Mes parents les accueillaient régulièrement chez nous. C’était un soutien inestimable envers leurs compatriotes : les « zoufris » (ouvriers) qui contrairement à eux subissaient de plein fouet la solitude de l’exil. Je me souviens que leurs corps et l’expression de leurs visages exprimaient toute l’austérité d’un quotidien, enchaînés à la cadence d’une usine où d’un chantier. Ils se transformaient au contact de notre foyer animé de bruits d’enfants. Détendus, avec un thé chaud à la menthe, assis autour de la table du salon, ils faisaient d’interminables parties de dominos. Dans cette ambiance chaleureuse, ils échangeaient leurs expériences, se soutenaient, se conseillaient. Ils parlaient le dialecte algérien, langue que nous, enfants, ne comprenions pas. Parfois, un mot ou une expression française s’échappaient de leurs échanges, ponctués de vifs éclats de rire, on devinait au son de leurs voix et à l’expressivité de leur gestuelle qu’ils évoquaient leur condition de vie en France ou le manque du pays et de la famille. Pendant ce temps, ma mère préparait solennellement le couscous pour le dîner. En fond sonore, une chanson d’Oum Khalthoum accompagnait ces moments nostalgiques où un indescriptible vague à l’âme vous transperçait le cœur.

Ces hommes ont immigré en France pendant les «30 Glorieuses», alors que les entreprises industrielles françaises en manque de main-d’œuvre faisaient appel à ces natifs du Maghreb et de l’Afrique sub-saharienne.

Ces jeunes travailleurs représentaient une main-d’œuvre abondante, peu coûteuse et laborieuse venue en majorité des régions rurales.

Adulte, je voyais leur discrète silhouette dans l’espace public, ils avaient atteint l’âge de la retraite et restaient invisibles et coupés d’une société qu’ils avaient pourtant contribué à bâtir et à développer.

Rappelons-nous les réveils amers des décennies 80 et 90, marquées par l’émergence des luttes immigrées et des revendications des jeunes issus de l’immigration comme « La Marche pour l’Egalité et Contre le Racisme » et du mouvement associatif émergeant.

Rappelons-nous en 1999, l’euphorie nationale due à la finale de la Coupe du Monde de Football de 1998 remportée par Zinedine Zidane et son équipe, et l’avant 11 septembre 2001.

C’est alors que je décidai d’initier ce travail photographique, comme le fil d’une quête identitaire qui durera presque 20 ans.

En parcourant la ville de Marseille, je m’arrêtais souvent dans le quartier de Belsunce, attirée par l’ambiance du

« Marché aux Voleurs » installé clandestinement sur la place d’Aix, où des biffins vendaient à même le sol toutes sortes de petites marchandises.

La place était spécialement appréciée des « chibanis » (les anciens) qui venaient tuer le temps.

La majorité d’entre eux déambulait à travers les étalages comme dans un musée, d’autres restaient assis aux alentours, observant l’animation sous les rayons du soleil, d’autres encore dans le besoin, vendaient avec dignité des bricoles à quelques centimes.

De là, est née cette envie irrépressible de les photographier.

Pour compléter les portraits, il me semblait nécessaire de recueillir leur parole : leurs personnalités suscitaient ma curiosité sur ce qu’ils avaient pu vivre en qualité d’hommes en terre étrangère dont les mœurs et les coutumes étaient différentes de leur pays d’origine.

Je voulais connaître leurs expériences de vie et recueillir leurs témoignages, tout en sachant que la majorité d’entre eux étaient analphabètes et issus d’un milieu paysan.

Nombreux sont ceux dont l’Odyssée commence dans la cité Phocéenne, passage obligé et lieu symbolique de l’histoire migratoire. Certains y resteront, d’autres partiront vers d’autres villes industrielles ou minières gagner leur pain à la force de leur bras et de leur courage.

À travers « ces Ulysses », il m’est permis de graver la mémoire de nos aînés et ainsi rendre hommage à ces hommes et à toutes les vagues migratoires qui ont marqué et marquent encore l’histoire de ce pays dans toute sa diversité.

Leïla Bousnina

 

Photographe, née en 1969, Leïla Bousnina est originaire de Seine-Saint-Denis.

En 1991, tout en poursuivant des études d’histoire de l’art, option audio-visuel, elle intègre durant cinq années une structure sociologique d’études et d’observations sur les banlieues « Banlieuescopies », qui l’amène à la photographie, spécialisée sur des sujets à dominance sociale.

En 2000, elle entreprend le travail photographique d’ « Ulysses » : photographier et recueillir les récits de vie d’hommes immigrés âgés : les anciens travailleurs venus en masse en France, lors des « 30 glorieuses », qu’on nomme aujourd’hui les Chibanis, avec pour objectif la restitution par un livre de ce travail : « Ulysses », aux Editions Otium en décembre 2018.

« J’ai essentiellement travaillé en milieu scolaire ou socio-culturel en tant que photographe ou animatrice d’atelier pédagogique. » Leïla Bousnina

 

L’association Pour Que l’Esprit Vive

La galerie FAIT & CAUSE et le site SOPHOT

Présentent

 Leïla Bousnina : Ulysses

du mercredi 15 janvier au samedi 29 février 2020

Galerie FAIT & CAUSE

58 rue Quincampoix

75004 Paris

Horaires d’ouverture : du mardi au samedi, de 13h30 à 18h30.

 

Livre:

Ulysses

Photographies et textes – Leïla Bousnina

Illustrations – Kamel Khélif

Editions Otium 2018

 

www.sophot.com

 

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