En 1963, Jean-Louis Bloch-Lainé est engagé comme photographe par le magazine Elle. Peter Knapp en est alors le directeur artistique et va laisser une forte empreinte au cours de cette riche période des années 1960 – le magazine Elle, dynamisé par la personnalité d’Hélène Lazareff, n’accompagne pas seulement le mouvement de la mode, il est aussi un marqueur de la société de l’époque – : Knapp signe des pages pleines d’inventions visuelles, de rythme et de couleurs, qu’il illustre souvent lui-même en tant que photographe. Jean-Louis Bloch-Lainé n’est pas certain qu’il fera de la photographie de mode son métier, Peter Knapp n’est en pas non plus persuadé et le lui signale. Elle lui propose néanmoins en 1966 d’assister le photographe anglais Norman Parkinson, alors très réputé et collaborateur régulier du magazine, pour une série de prises de vues de mode destinées au numéro de Noël. Celles-ci seront réalisées en Inde et Bloch-Lainé, alors âgé de 26 ans, ne peut que s’enthousiasmer à l’idée de découvrir un tel pays. Il ne sait pas encore que cette proposition va lui permettre de réaliser un premier travail personnel qui sera publié quelques années plus tard, en 1969, dans un numéro du tout jeune magazine Photo. Au moment où Norman Parkinson s’apprête à quitter l’Inde, son assistant décide de différer son retour et de passer plusieurs mois à explorer le pays. Il est en effet ébloui par le spectacle des villes et des campagnes. Mais aussi par la lumière particulière des premières heures du jour ainsi que celle du crépuscule qui enveloppent ce spectacle. De cette observation de la lumière, de la nécessité de composer avec elle, il en tirera des leçons pour l’avenir, dans son studio où il va trouver sa voie à travers une pratique très épurée de la nature morte. Pour l’heure, Bloch-Lainé est tout à son aventure indienne ; il traverse différentes régions, du Népal au Cachemire, s’arrête dans plusieurs villes telles que Calcutta et Madras. L’homme, isolé ou en groupe, occupe le plus souvent les scènes qu’il s’emploie à fixer, avec autant de respect que d’admiration. Et il sait immédiatement lorsque sa présence trouble les sujets en direction desquels il braque son objectif. Sa curiosité, tient-il à le préciser, est essentiellement photographique ; il n’est pas porté par des convictions religieuses ou philosophiques, comme le sont nombre d’européens qui se rendent en Inde à cette époque. Comblé par cette formidable aventure, il retourne en France, mais « sans savoir si ce [qu’il avait] vu était bien sur la pellicule […], avec juste l’espoir de photos à peu près bien cadrées et à peu près bien posées » – Bloch-Lainé a toujours fait preuve dans ses propos d’une grande humilité –. « C’est l’une des sensations que je préfère en photographie », ce qu’il nomme « l’image latente ». À la différence des outils d’aujourd’hui qui permettent de voir immédiatement ce que l’on a photographié, l’appareil argentique des années 1960, aussi perfectionné soit-il, ne fait que fixer une image. Au photographe de la reconstituer mentalement, de la rêver, jusqu’au moment où son film sort du laboratoire.
Gabriel Bauret
Jean-Louis Bloch-Lainé : « Lumières Basses » – Inde 1966
Jusqu’au 18 décembre 2020
Le Purgatoire
54 rue de Paradis
75010 Paris