par Isabella Seniuta
Le 11 septembre 2019, le journal California a publié un article passé inaperçu. Cet article mentionne sans plus de précisions la disparition du photographe américain Chauncey Hare. Né en 1934, l’auteur d’Interior America (1978), est mort au mois de mai, oublié. Seule une chercheuse en histoire de la photographie, Camille Balenieri, l’a rencontré récemment.
Jusqu’à la fin, Chauncey Hare est demeuré une énigme pour ceux et celles qui ont eu la possibilité de l’approcher. Camille Balenieri, auteure de la thèse L’art de résister. Chauncey Hare, photographe politique aux États-Unis, des années 1950 à nos jours, est l’une des rares à s’être entretenue avec lui dans sa maison à San Francisco en 2017. Sa thèse constitue la première monographie critique sur son œuvre. Chauncey Hare n’était pas un archétype. Il n’était pas de ceux qui enseignaient dans une université américaine ni organisaient des workshops. Il n’a jamais vendu un tirage depuis 1968, pour éviter de livrer son œuvre à un marché spéculatif. Il n’était pas de ceux qui recherchaient à exposer dans les plus prestigieuses institutions américaines.
Qui était donc Chauncey Hare ? Ingénieur de formation, il s’intéresse à la condition sociale des ouvriers dans son ouvrage Interior America (1978). Il côtoie les mouvements de la contre-culture américaine et se soulève contre l’aliénation au travail des cadres américains dans son ouvrage autoédité This Was Corporate America (1984). Après l’obtention de trois bourses Guggenheim, ses photographies sont montrées au MoMA en 1978 lors de l’exposition Mirrors and Windows aux côtés de Robert Mapplethorpe, Bill Owens et Garry Winogrand. Puis, il disparaît progressivement du paysage des institutions américaines et stoppe toute activité photographique en 1985 pour devenir psychothérapeute. Il lègue son œuvre à la Bancroft Library de Berkeley et il vivait depuis en repli du monde de la photographie. Son nom est absent de la plupart des histoires de la photographie, mais le simple fait que l’éditeur Steidl ait décidé de consacrer une monographie en 2009 sur son travail, donne une mesure de l’importance de Chauncey Hare dans l’histoire. À l’heure de sa mort, les héritiers de sa pensée sont de plus en plus mis à mal par les nouvelles politiques capitalistes américaines. Pour ceux et celles qui ont eu la chance de voir ses tirages de près à Berkeley – la maîtrise des grands angles, la précision des compositions, la qualité picturale des images – Chauncey Hare était un symbole, dont la mort signe la fin d’une ère.
Soutenance de thèse de Camille Balenieri préparée sous la direction de Michel Poivert :
Le 7 décembre 2019 à l’INHA
Galerie Colbert, 1er étage, salle Jullian
Jury :
Géraldine Chouard, Professeure à l’Université Paris Dauphine
François Hers, artiste et photographe
Jean Kempf, Professeur à l’Université Lumière-Lyon 2
Olivier Lugon, Professeur à l’Université de Lausanne
Michel Poivert, Professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Bibliographie sélective :
Chauncey Hare, Interior America, with an introduction by Hare, Aperture, New York City, 1978,
Chauncey Hare, This was Corporate America, Institute of Contemporary Art, Boston, 1984
Chauncey Hare, , Protest Photographs, Steidl, Göttingen, 2009
Camille Balenieri, « Chauncey Hare, une conscience radicale. Documentaire social et mysticisme », Transbordeur. Photographie histoire société (« Câble, copie, code. Photographie et technologies de l’information »), Paris, Macula, no 3, 2019, pp. 160-173.
Légendes:
Ces photographies ont été réalisées par Chauncey Hare pour protester et mettre en garde contre la domination croissante des travailleurs par les sociétés multinationales et leurs propriétaires et dirigeants d’élite. Chauncey Hare a exigé que cette déclaration apparaisse à côté de ses photographies chaque fois qu’elles ont été reproduites.