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Le Paris de Bernard Plossu

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Paris est la ville que j’ai habitée enfant, et elle a beaucoup compté pour moi, surtout de 1960 à 1965, mes années d’adolescence, où j’allais tout le temps « apprendre » l’image à la Cinémathèque et voir les films Nouvelle Vague au quartier latin.

J’ai toujours photographié Paris, même enfant avec un Brownie Flash en couleur (ma première photo, c’est celle des ballons en couleur, place de l’Étoile, en 1954, j’avais 9 ans) ; puis je l’ai filmée en 8 et en super 8 mm, avec mon copain Étienne O’Leary, qui lui filmait en 16…

Le cinéma m’a influencé sans aucun doute, surtout les films « La vie à l’envers » d’Alain Jessua et « Alphaville » de Godard.

Après des années vécues à l’étranger, je redécouvrais Paris chaque fois, au retour de chaque voyage, de la Californie en 66, du Sahel en 75, 76 et 77 : me retrouver à Paris me donnait immanquablement une profonde envie de faire des photos, c’est-à-dire de la redécouvrir — ses habitants, ses rues, et aussi les cafés, et les si jolies passantes dans les rues ! Tout cela juste au 50 mm, l’objectif dit « normal », comme la camera à l’épaule de Raoul Coutard, le cameraman de Truffaut et Godard.

Mon regard était comme neuf après les paysages de désert visités dans le monde ! Rentrer du désert et se retrouver dans le métro, les jardins, les musées, les petites rues… Paris ! Le choc ! Et, qui dit choc, dit photos !

Ce n’est pas une ville plus difficile qu’une autre à photographier, non !

Ce qui est difficile, c’est d’arriver à voir « chez soi » ! Photographier ce que l’on croit connaître si bien ! Ces derniers mois, je suis allé exprès à Montmartre, à l’Étoile, voir si j’arrivais à faire des photos dans ces lieux rabattus et que je croyais connaître, étant parisien de jeunesse : cela a été passionnant, redécouvrant chaque rue, chaque odeur.

Ce qui me plaît à Paris, ce sont les changements de lumière, les nuages : on passe du gris total à un rayon de soleil éblouissant, c’est fort comme les peintures du Nord !

Donc pas plus difficile que partout ailleurs, il suffit de bien regarder et de se laisser tout revoir comme une première fois.

La clé de Paris, c’est de circuler en autobus et — de la fenêtre — regarder les toits des immeubles et toutes les époques d’architecture ! Jeune, j’ai même connu les bus à plate-forme, le sol des rues glissant sous vos pieds… C’était le bonheur !

Il y a eu beaucoup de périodes différentes, du noir et blanc de toutes les décennies, et aussi beaucoup de couleur, à un moment même au grand-angle 24 mm, étrange !

Dès 1967, j’ai fait tirer mes photos couleur par le formidable Atelier Fresson à Savigny-sur-Orge, donc j’ai pas mal de vintages couleur qui n’ont pas bougé, vu que ce procédé est le plus stable qui soit !

Couleur ou noir et blanc, quoi de plus merveilleux que de rechercher des ruelles où on a des souvenirs d’enfance ! Les rues du XVIIe arrondissement si provinciales, encore maintenant, et les salles de cinéma d’époque ! Le Cineac Ternes, le Normandie en haut de l’avenue de la Grande Armée où on allait voir les westerns en cinémascope, le Studio Obligado où passaient les « Tarzan » et les « Zorro » : disparus, tous ! Je n’ai retrouvé que le Mac Mahon, qui est toujours spécialisé dans les films noirs américains.

Mais heureusement, on peut toujours aller prendre le petit-déjeuner au Café Panis au pied de Notre-Dame, lieu magique ; ou, en plein hiver, aller boire un chocolat chaud maison au Select inchangé, qui vous replonge dans le Paris des années Montparnasse ! Et en cas de blues, aller ramer sur les lacs, rien de mieux !

Paris et ses gares somptueuses, de là, partir aux quatre coins de la France et même jusqu’en Italie !

Paris c’est aussi aller à la foire du Trône avec les Gautrand, faire l’itinéraire des galeries avec Alain Le Saux et des expos photo avec Djan Seylan ; ramer au bois de Boulogne avec Michèle et Doumé ; prendre la place de l’Étoile à vélo sans peur, cheveux au vent à 20 ans ; aller au concert de Thelonious Monk à l’Olympia dans les années 60, et aussi au Blue Note écouter Lou Bennett, ou au Chat qui pêche ; rentrer à l’aube après avoir filmé en 8 mm. et écouter « Walk on by » de Dionne Warwick ; voir le rarissime film d’Elvis « Loving you » à la Cinémathèque ; écouter Erik Satie calmement ; aller rencontrer Albert Cossery à La Louisiane ; photographier Isidore Isou chez lui ; se balader au Luxembourg avec Guillaume Cassegrain et Marthe ; aller au Louvre revoir les Italiens avec Anne Bourguignon ; retrouver les amis américains qui aiment tant Paris, Laurie Hurwitz, Michaël Woolworth, Don Foresta, Lewis Baltz, Stuart Alexander, Stanley Greene, Linda Andrieux, Georges Andrieux, Stuart Alexander ; relire Balzac — encore et toujours — une fois plus âgé…

Les souvenirs anciens et récents se mélangent…

Mais Paris est aussi — et surtout — ma base de travail ! Dès l’âge de 21 ans, je courrais de rendez-vous en rendez-vous, cherchant du travail, montrant mon dossier : J’étais et je suis encore photographe ! À l’époque l’idée d’être un « artiste » n’existait pas !

Paris est une ville féminine, totalement, absolument, c’est sans doute cela qui fait qu’elle est tellement admirée par les étrangers ! L’élégance des femmes, même avec trois fois rien, y est unique au monde. Paris est sensuelle, chic, gracieuse…

Bernard Plossu

 

Plossu Paris
Édité par MarVal Rue Visconti
Texte d’Isabelle Huppert et Brigitte Ollier

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