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Le monde change sous l’œil fixe du Commandeur

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Créée par les jeunes gardes rouges de Pékin en 1967 au plus fort de la Révolution culturelle, la première statue de Mao, au bras tendu, fut érigée à l’entrée de l’Université Tsinghua suite à la destruction d’une arcade historique. Elle était censée célébrer la victoire de la pensée du président Mao. Une calligraphie de la main du Maréchal Lin Biao, l’architecte du culte de la personnalité de Mao, a été gravée à la base de la statue avec ces mots : « le Président Mao appelle, je m’avance », elle est dédicacée aux Quatre Grands (四个 伟大) : « Grand Mentor, Grand Leader, Grand Commandeur, Grand Timonier ».

Très vite la réplique de cette statue s’est répandue comme une traînée de poudres à travers le pays, villes et cantons ont commencé chacun à ériger des statues de Mao qui sont devenues l’exemple le plus flagrant du culte de la personnalité. Une décennie plus tard, soit à la fin de la Révolution Culturelle, et au cours des années 1980, des milliers de ces statues ont été démontées de leurs piédestaux, transportées et enterrées dans les campagnes, certaines ne refont surface que grâce à la fièvre récente du développement immobilier. Personne ne ne sait combien de statues Mao ont été produites. Un article récent dans China Daily a fait mention de quelque 190 statues qui auraient survécu jusqu’à aujourd’hui.

La plus connue, mesurant 30 mètres de haut, érigée en 1968, se trouve toujours au centre de Chengdu, sculptée en marbre blanc massif qui provient de la carrière de Panzhihua, ville célèbre pour son rôle durant la Longue Marche. L’ironie est que, avec l’amélioration du niveau de vie et l’émergence d’entrepreneurs chinois richissimes, la statue de Mao revient à la mode, elle devient même plus prisée qu’une statue de Bouddha. Il suffit de débourser quelque 5 000 euros on peut passer commande d’une statue de Mao de 3 mètres de haut pour sa propre collection privée ou pour offrir (souvent aux apparatchiks) comme cadeau.

Au Festival de Pingyao de 2016, une exposition extraordinaire présentait une saga photographique de 30 ans autour d’une place de la ville de Jincheng dominée par une statue de Mao au bras levé. Le photographe amateur et voyageur-représentant Chen Zhixian, né à Wenzhou et vivant maintenant à Shanghai, s’est retrouvé un jour dans la ville de Jincheng en 1985 par pur hasard à la veille du Nouvel An chinois, il sortit dans la rue et prit des photos de la foule sur la Place du Peuple et fut impressionné par l’atmosphère festive sous la statue de Mao. Dès lors, Jincheng est devenu son pèlerinage annuel. Robert Pledge, le commissaire de l’expo a écrit : «Il l’a photographiée. Sans relâche. Année après année. Il nous fait parcourir cette place de Noir et Blanc à la couleur, de la pellicule au numérique. »

Et nous pouvons constater les changements fascinants qui ont lieu dans une ville banale de la Chine au cours de trois décennies, des années 80 à aujourd’hui, comme un diaporama aux images défilant en accéléré sauf la figure centrale du Commander debout immobile au milieu de la place. La marée de bicyclettes et de chariots à trois roues est peu à peu remplacée par la maladie urbaine d’aujourd’hui, les embouteillages et le débordement de panneaux publicitaires. « Les piétons serpentent au-milieu des véhicules 4×4, des motos et des autobus aux couleurs chamarrées. Les tours résidentielles, les restaurants Fast Food, les salons de coiffure et les néons du soir forment le nouveau paysage urbain. » Ainsi écrit Bob Pledge dans sa préface.

Ma photo préférée est celle prise en 2009, qui montre une jeune femme, amie de la photographe, vêtue d’une robe à fleurs avec un nœud de couleur verte sur la poitrine, d’un style nostalgique. Elle se tient debout le dos tourné à la statue de Mao, soulevant son bras gauche comme pour abriter son visage du soleil. L’arc formé par son coude renvoie au bras levé du Grand Timonier. A l’arrière-plan, une bannière rouge sur le haut d’un immeuble annonce en gros caractères : « Nouveau Monde, Réécrire la Cité ». Au rez-de-chaussée du bâtiment, une enseigne rouge annonce le Kentucky Fried Chicken qui vient d’ouvrir. La place mérite bien son nom “la Place du Peuple” en attirant, comme le montrent plus tard les photos de Chen, les défilés des jours de fêtes, le marché nocturne de colporteurs et les soi-disant Square Dance si populaires partout en Chine. Une statue, une place, qui résument la vie de tous les jours de tant de villes chinoises.

Jean Loh

Jean Loh est un journaliste spécialisé en photographie basé à Pékin, en Chine.

 

Chen Zhixian
Du 10 décembre 2016 au 10 janvier 2017
Inter Gallery
4 Jiuxianqiao Rd, Chaoyang Qu
Beijing Shi, Chine, 100015

http://www.intergallery.cn/

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