L’hégémonie de l’image numérique produit un contre-effet : le goût retrouvé pour la photographie argentique, en particulier ses plus anciens procédés. Soucieux de se démarquer du flot actuel de pixels, des photographes s’emparent à nouveau du daguerréotype, du papier salé ou ciré, de la gomme bichromatée, du ferrotype. Ces techniques exigent de la méticulosité, du temps, de l’expérience. Elles rappelent que la photo a longtemps été une affaire de chimie, autant que d’optique.
Le Musée suisse de l’appareil photographique, à Vevey, a consacré de nombreuses expositions aux procédés du XIXe siècle, souvent vite apparus, vite disparus. Pourtant, l’un d’entre eux manquait à la liste : le collodion humide, inventé par Frederick Scott Archer suite aux travaux pionniers de Gustave Le Gray.
Les portraits de Sébastien Kohler viennent combler cette lacune, sur le mode hipster 2017. Photographe autodidacte, le Lausannois se passionne depuis quelques années pour la technique complexe du collodion humide. Dans l’exposition, une vidéo le montre à l’œuvre dans son atelier, préparant son liquide, l’appliquant avec dextérité sur une plaque de verre, trempant celle-ci dans un bain de nitrate d’argent, chargeant sa chambre avant que la couche ne sèche, demandant à son modèle de rester immobile pendant quelques secondes, développant sa plaque sensibilisée, la lavant à grande eau.
Le film nous dit que le négatif sur verre passe au positif dans le bain de fixateur, ce qui serait une sacrée première dans l’histoire de la photographie. En réalité, le photographe présente ses plaques à la manière d’un ambrotype, procédé breveté en 1854 par James Ambrose Cutting. Le verre est placé devant un fond noir puis éclairé de face. Comme la lumière éclaire l’argent métallique, l’image apparaît en positif.
Sébastien Kohler photographie ses sujets de face, en plan serré. La profondeur de champ est faible, la netteté faite sur les yeux, quelques taches viennent conforter l’ancienneté du procédé. Les dégradés de gris sont somptueux, comme l’est la matérialité des peaux, chevelures ou étoffes. Il se dégage une belle intensité de ces portraits contemporains, Sébastien Kohler faisant poser ses amis et connaissances. Des artistes, acteurs, créateurs et autres membres du milieu culturel en Suisse romande. Pas de sourire, de la tension, des maintiens figés, autant de conséquences expressives des longues poses endurées par les modèles, soutenus par un appui-tête.
L’effet temporel est double, renvoyant aussi bien au passé qu’au présent. Les sujets sont on ne peut plus contemporains, lookés, stylés, élégants. Mais le procédé photographique bascule ce petit monde dans le XIXe siècle, faisant resurgir le souvenir de portraits similaires, plus que séculaires. A tel point qu’une peau noire ou des traits asiatiques évoquent, à cœur défendant, les temps de l’esclavage ou des colonies. A solliciter la mémoire, on risque toujours de réveiller de mauvais fantômes.
Tendance réactive, préférant la stase à la mobilité de l’image numérique, la photo à la mode XIXe s’inscrit dans le goût actuel pour la nostalgie. C’est ainsi : en 2017, sur ses franges les plus esthétisantes, la photographie aime se mettre elle-même en récit. Elle affiche ses origines pour se trouver une nouvelle légitimité. Il s’agit aussi d’un nouveau maniérisme, une « bella maniera » qui tire parti de l’emprunt et de la citation. Comme tous les maniérismes, la photo vintage marque la fin d’une époque. En l’occurrence celle de l’image unique, tengible et argentée.
Luc Debraine
Luc Debraine est journaliste culture et société. Il vit et travaille à Lausanne, Suisse.
Sébastien Kohler, Ambrotypes
Du 13 septembre 2017 au 14 mars 2018
Musée suisse de l’appareil photographie
Grande Place 99
1800 Vevey
Suisse