« Le plus grand massacre d’État commis contre son propre peuple », la Grande Terreur, Tomasz Kizny, journaliste et photographe polonais.
Journaliste et photographe polonais, Tomasz Kizny a fondé Dementi, un collectif de photographes indépendants, suite à l’instauration de la loi martiale en Pologne en 1981, qui a documenté les grèves de Solidarnosc, les manifestations, la résistance en Pologne, ainsi que l’effondrement du bloc communiste. Il est l’auteur des livres Goulag (2003) et La Grande Terreur en URSS 1937-1938 (2013).
Que recouvre le terme de Grande Terreur ?
Tomasz Kizny : En 1968, l’historien Robert Conquest utilise ce terme pour définir l’apogée de la répression stalinienne des années 1937-1938. Vingt ans après la révolution d’octobre, le régime soviétique perpétue un crime contre l’humanité à une échelle inédite en Europe par temps de paix : pendant seize mois, d’août 1937 à novembre 1938, près de 750 000 citoyens soviétiques sont condamnés et fusillés, soit près de 50 000 exécutions par mois. Durant cette période, un adulte sur cent en Union Soviétique est abattu d’une balle dans la nuque. Par ailleurs, près de 700 000 individus sont condamnés à de longues peines et vont périrent au Goulag dans les années qui suivent. Au total la Grande Terreur va coûter la vie à près d’un million et demi d’hommes. Ce crime de masse, le plus grand massacre d’État commis contre son propre peuple, est dirigé par Joseph Staline lui-même et ses plus proches collaborateurs du Politburo du Parti communiste bolchevique.
Comment se met en place « le périmètre de la terreur » défini par le NKVD ?
TK : Pendant les quinze mois de Grande Terreur, tous les services du NKVD sur l’ensemble du territoire de l’URSS, dans la capitale comme dans les districts, se sont mués en lieux de tortures. Avant de signer leur condamnation, les victimes étaient obligées d’avouer sous la torture des crimes absurdes, des complots imaginaires et de livrer leurs « complices » : la logique interne de la Terreur voulait que le prévenu avoue sa faute. De dénonciations en dénonciations, des centaines de milliers de personnes sont arrêtées, persécutées et jugées. Personne n’est à l’abri, ni les dirigeants du NKVD, ni les dignitaires du parti, ni les anonymes innocents, ni les vieillards, ni les jeunes. Le zèle des fonctionnaires du NKVD excelle et les quotas d’arrestations fixés par l’administration centrale de Moscou sont souvent dépassés dans nombre de régions.
Dans ce processus d’extermination, quel est le rôle joué par la photo ?
TK : Les personnes arrêtées sont photographiées de profil et de face sur un fond uniforme, conformément aux normes de la photographie d’identité établie par Alphonse Bertillon dans la seconde moitié du XIXe siècle et adoptées aussitôt par la Russie tsariste. Ces photographies annexées au dossier des condamnés permettaient aux bourreaux de vérifier l’identité de la personne juste avant son exécution. Les dossiers accumulés permettaient d’attester que les quotas d’exécution étaient atteints.
Comment ses photographies sont-elles devenues « à charge » ?
TK : Jusqu’à aujourd’hui les dossiers des condamnés ne sont pas rendus publics sauf dans quelques cas où le dossier d’un membre disparu de votre famille peut vous être communiqué. L’association Mémorial créée par le Prix Nobel de la Paix A. Sakharov mène un travail de rassemblement et de mise à disposition progressive de ces photographies et des données qui les accompagnent. Au fur et à mesure de leur « remontée à la surface » ces images sont devenues l’une des principales preuves à charge des crimes de Staline. Il s’est opéré un renversement à 180° de leur statut : d’outil au service des bourreaux devant faciliter et attester des exécutions, elles sont devenues aujourd’hui le témoignage le plus éloquent contre ces crimes.
EXPOSITION
Images à charge, la construction de la preuve par l’image
Du 4 juin au 30 août 2015
Le BAL
6, impasse de la Défense
75018 Paris
France
http://www.le-bal.fr
La production de l’exposition est réalisée par le laboratoire Picto.
EVENEMENT
Rencontre avec Eyal Weizman, Les attaques de drones, à la limite du seuil de détectabilité
Le 3 juillet 19h au BAL
Réservation et informations : [email protected]
LIVRE
Images à charge, la construction de la preuve par l’image
co-édité par les Éditions Xavier Barral et Le BAL
Relié, 22 x 28,5 cm
240 pages
280 photographies N&B
45€
http://exb.fr