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L’autisme, ou entrer dans le monde de la solitude

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Comme la plupart des gens au monde, je n’ai pris conscience de l’autisme qu’il y a trente ans, à la sortie du film Rain Man de 1988 qui a remporté quatre Oscars. Aujourd’hui, le 2 Avril, c’est la Journée Mondiale de Sensibilisation à l’Autisme instituée par les Nations Unies en 2007. A Shanghai, l’exposition du photographe Zheng Min qui s’ouvre ici au musée d’Himalaya nous donne l’occasion de nous pencher sur le vécu quotidien de l’autisme par les parents et par les enfants qui en souffrent. En France même, l’autisme n’a été officiellement reconnu comme un handicap qu’en 1996. Et tout le mois d’avril, c’est le Mois de l’Autisme, c’est pourquoi je tiens à faire part de ces photographies émouvantes de Zheng Min sur L’Œil de la Photographie.

On explique encore mal ce qu’est l’Autisme, d’où le foulard de puzzle utilisé comme symbole de l’autisme. Il y a sept ans, Zheng Min, photographe travaillant à la télévision de Shanghai, par le plus grand des hasards, est invité à une réunion de parents d’enfants autistes. Par réflexe, il a apporté son appareil de photo. Pendant le goûter qui a duré plus de deux heures, il a remarqué que les enfants assis autour d’une table commune ne se parlaient pas et ne se regardaient pas. Si leurs yeux balayaient l’espace de droite à gauche, il n’y avait aucun éclat dans leur regard. Et chacun mangeait son propre goûter, l’un d’entre eux a mis une demi-heure pour manger une banane. En bavardant avec certains parents, Zheng Min s’est rendu compte de l’existence peu ordinaire de ces “Enfants Stellaires”, comme on les nomme. « Ils sont comme des extra-terrestres avec qui les humains ne savent communiquer », m’expliquet-t-il. A partir de ce moment-là, Zheng Min a participé régulièrement aux activités de l’association Arc-en-Ciel, et a pris de plus en plus de photos qu’il leur apportait en souvenir ensuite. Ces photos les rendaient très émus car il s’agissait d’une vision autre que celle vécue à partir de la cellule mère-enfant, cellule inséparable et pourtant entrecoupée par une barrière infranchissable. Ainsi est-il devenu un familier, comme l’un des leurs.

Un jour Zheng Min apprit qu’un des enfants autistes avait fait une rechute très grave. Alors il s’y est précipité avec son appareil. C’est ainsi qu’il a documenté pendant sept ans les hauts et les bas de cette enfant nommée Feifei, et le calvaire de sa mère. Feifei qui avait 20 ans à peine, restait cloitrée toute la journée à la maison. Elle ne pouvait pas prendre soin d’elle-même, avait des tendances d’automutilation et faisait des crises sur crises. Elle a même subi une opération au cerveau. Après quoi il y a eu une période d’amélioration, puis de nouveau la rechute. La mère a avoué toute sa détresse : « Je n’ai aucun espoir, je ne vois aucun avenir. Certains jours, je me dis que je vais sauter par la fenêtre avec elle ». Ce sont les images les plus dramatiques de toute la série des plus de 100 000 clichés accumulés par Zheng Min en sept ans. Feifei le visage tuméfié à force de se cogner la tête contre les murs, les camisoles de fortune, les menottes pour l’attacher au lit, et son regard qui dit un langage incompréhensible quand sa mère l’abandonne à l’hôpital… ou détourné quand elle agite devant elle une petite poupée aux cheveux bleus…

Pourquoi les photographes sont-ils attirés par des asiles de fous, les aveugles et les handicapés physiques et mentaux ? Je me suis souvent posé la question en repensant aux portraits effrayants d’Antonin Artaud. Tous les autistes ne sont pas des génies, capables de mémoriser par cœur les compagnies aériennes sans accident ou sachant compter les cartes dans les casinos. Dans la “tribu des enfants stellaires” de Zheng Min, il y a ce grand garçon de 19 ans qui ne peut s’arrêter de boire et d’aller aux toilettes, ou ce gamin qui ne peut manger en présence de sa mère – elle doit se cacher sur le balcon pour le surveiller derrière le rideau. Ce sont des êtres qui n’ont peut-être pas conscience du réel, ni de contact avec le réel. La photographie est censée saisir le réel, en japonais le mot photographie est traduit par Shashin : écrire le réel. C’est ici le paradoxe de l’arroseur arrosé, avons-nous vraiment réussi à percer le mystère des enfants autistes ? Ou bien sait-on comment l’autiste nous voit ? C’est tout le mérite du photographe de tenter de pénétrer dans l’âme ou la conscience de l’autiste. C’est effectivement un véritable travail documentaire, de photographie engagée (concerned photography en anglais). Etre engagé, c’est d’abord d’être concerné.

Jean Loh

Jean Loh est un auteur spécialisé en photographie basé à Shanghai, en Chine.

Zheng Min, Autism
Du 2 Avril au 30 Avril 2017
Musée Himalaya de Shanghai
869 Yinghua Rd
ShiJi GongYuan, Pudong Xinqu
Shanghai Shi
Chine

http://www.himalayasart.cn/en/

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