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Lausanne : Anonymes dans la ville, Musée de l’Elysée

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C’est une première qui annonce la place accordée aux collections du musée de l’Elysée dans la nouvelle programmation pensée par sa directrice Tatayna Franck : Anonymats d’aujourd’hui offre une thématique commune et transversale d’œuvres fortes et variées, dont certaines spécialement acquises pour l’occasion. Le sous-titre « Petite grammaire photographique de la vie urbaine » de Pauline Martin, commissaire de l’exposition, place résolument le spectre du regard du côté de la sociologie car nombreux sont les anthropologues qui se sont penchés sur la ville contemporaine synonyme de solitude, d’angoisse et d’exclusion. Une jungle urbaine dont se saisissent les photographes à travers des stratégies formelles récurrentes (sérialité, cadrage, flou, manipulation numérique, reportage, grands formats) pour en accentuer les qualités intrinsèques. Mais de cet isolement dans la masse et inévitable uniformisation, l’individu peut aussi en retirer une réelle liberté, un paradoxe que pointent plusieurs artistes. Dès lors, des temps de sociabilité restent possibles autour de communautés d’intérêt ou par le hasard accidentel. Des tribus émergent offrant de nouvelles configurations sociales et dépassant le paradoxe premier. Le parcours en 7 séquences ouvre sur les clichés de Stéphane Couturier de la série « Urban Archeology »et de Hans Wilschut de la série « Hermetic City » soulignant l’adaptation nécessaire de l’individu face à une métropole en constante évolution et cette densification urbaine progressive. Quelle place l’individu peut-il garder ? Une fois cette question posée, l’individu peut-il préserver son intimité face à l’uniformisation de son environnement et des types sociaux imposés comme avec ces esthéticiennes de Raphael Hefti, piégées dans une logique de consommation factice ou ces avocats genevois d’Aimée Hoving dans une attitude de pouvoir. Mais certains résistent à ce rouleau compresseur comme ces vendeurs ambulants mexicains dont les chariots extrêmement précaires en restent néanmoins créatifs.

Poussant jusqu’au bout la perte de repères vers une possible désincarnation anxiogène et mortifère, certains photographes mettent en place des outils conceptuels redoutables tel que le flou chez Alexey Titarenko (foules pétersbourgeoises) ou Miklos Gaal (personnages miniatures), les manipulations digitales et virtuelles (avatars du site Second Life par Richard Kolker, univers du cinéma par Kristoffer Axen) jusqu’aux migrants clandestins passés au Rayon X de la douane française à Calais, image glaçante qui en rappelle d’autres, plus fantomatiques selon le concept cher à Georges Didi-Huberman. Après cette tension, nous retombons dans le « confort de l’incognito » décrit par le penseur Colette Petonnet, incarné par les trois vidéos en boucle de Cyrille Lallement (simulacres urbains), Floriane de Lassée (place du spectateur/voyeur) et Nadja Groux (trafics en tous genres captés depuis sa fenêtre à Harlem).

Sortir de l’anonymat implique dès lors pour les artistes de poser un regard humaniste face à la détresse (sans abris de Thomas Kern) ou au drame de l’acte terroriste. Des anonymes se découvrent en effet des élans de solidarité inédits au moment du 11 septembre captés par Kevin Bubriski et Frédéric Sautereau jusqu’à proclamer la figure du héros ordinaire,comme en témoigne Jonas Fredwall Karlsson et Steve McCurry (pompier sur une échelle). Une intimité qui peut être finalement violemment rejetée par son modèle comme ce voyageur du métro new yorkais Neji Bensalah pris à la sauvette par Luc Delahaye qui tente de lui intenter un procès qu’il perdra.

L’exclusion peut prendre différents visages dans la mégapole, de la précarité temporaire ou définitive (sans abris de Nicholas Prior ou de New York par Andrea Star Reese) à l’exclusion des riches et favorisés (enfants uniques Chinois par Su Sheng ou immigrés juifs de Los Angeles par Anoush Abrar).

L’appartenance à une communauté d’intérêt serait-elle la solution pour résoudre cette tragédie ultra contemporaine ? Se côtoyer, voire se rassembler autour d’affinités ponctuelles comme chez LawickMuller (audioguide), partager une sociabilité sur son lieu de travail (la photocopieuse de Julien Benard), le temps d’un trajet en métro (Pablo Zuleta Zahr) ou croiser la réalité d’un autre corps que le sien (Valérie Jouve Grand littoral) semblent un échappatoire à cette emprise de déshumanisation progressive.

Cette balade urbaine, chaotique et fragile, tragique et singulière d’une grande cohérence, laisse en soi une petite musique douce-amère longtemps après.

EXPOSITION
Anonymats d’aujourd’hui
Petite grammaire photographique de la vie urbaine
Jusqu’au 1er mai 2016
Musée de l’Elysée
18, avenue de l’Elysée
CH-1006 Lausanne
Suisse
T +41 21 316 99 11
[email protected]
http://www.elysee.ch

Catalogue publié à l’occasion.

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