Changer d’apparence, d’époque, de genre, se regarder dans le miroir, avant de se produire devant les copains, le cercle de famille, en reproduisant les tics de chacun, les vedettes de l’écran. Les enfants aiment à se déguiser, piochant dans les armoires et les greniers costumes, chapeaux et autres accessoires.
En grandissant, certains ont conservé cette part de jeu, ce goût du déguisement, du grimage, il arrive même qu’ils en fassent profession. Ainsi de Laurence Bibot que l’on aura connue en Miss Bricola avec Les Snuls, puis en ses spectacles tel Bravo Martine où les clichés s’enchaînaient, l’intonation, le timbre de voix démasquant les stéréotypes, féminins cette fois.
Cette galerie de portraits se poursuivra en d’autres spectacles, Miss B ou Sœurs Emmanuelle, entre dérision et hommage, qui traduisent un humour ravageur et une faculté d’observation aiguë, avant Travestis, un documentaire qu’elle réalise sur l’univers des transformistes.
Depuis quelques années, au départ d’archives télévisées, Laurence Bibot a réalisé une série de petites capsules s’emparant d’archétypes féminins, shampouineuse, directrice d’école, nymphette, ménagère de plus de 50 ans, femme dépressive ou exaltée, mais aussi des personnages connus, Barbara, Juliette Gréco, Sœur Sourire ou plus récemment Amélie Nothomb dont la confection du chapeau haut aura nécessité des trésors d’imagination.
Il ne s’agit plus ici d’imitations mais de playbacks, Laurence Bibot reproduisant le mouvement des lèvres des interviewées dont elle a adopté le costume et les éléments du décor.
Livrées jusqu’ici aux réseaux sociaux, ces capsules seront pour la première fois présentées au Musée de la Photographie, qui avait accueilli de mai à septembre 2017 l’exposition En léger différé consacrée à la télévision belge, organisée par la Sonuma partenaire cette fois encore, Studio Madame en constituant le prolongement humoristique, une façon de recycler l’image télévisée.
Perruques, foulards, lunettes anachroniques, sur chemisiers fleuris ou tailleurs Chanel, seront au rendez-vous de ces parodies où l’on aura parfois quelque peine à reconnaître la comédienne.
À notre plus grand plaisir et sans doute le vôtre, voici Laurence Bibot, telle qu’en elles-mêmes.
« Si le cinéma s’est émancipé en ajoutant du son à l’image, Laurence Bibot s’amuse à faire le contraire. Dans sa série de vidéos, qui multiplie à l’infini son image tout en la déformant, elle incarne des voix et réalise l’un de ses fantasmes – être la femme aux mille visages. A l’exception des quelques personnalités publiques qu’elle a représentées dans sa galerie (Gina Lollobrigida, Marguerite Duras, Amélie Nothomb…), on ne sait pas à quoi ressemblent celles à qui elle emprunte la parole. L’effet est surprenant et touchant, au point d’envisager l’exercice comme un hommage aux anonymes qui, à leur corps défendant, participent à cette immense vitrine de personnages. En ajoutant un visage imaginaire à un son bien réel, Laurence Bibot procède par réalité augmentée et déploie un paysage insoupçonné là où on croit qu’il n’y a qu’une voix. »
Sébastien Ministru
Extrait du livre qui accompagne l’exposition.
« En jargon médiatique, on l’appelle « Madame Michu ». Autrement dit, Madame Tout-le-monde, la voix de la rue. C’est l’incarnation des statistiques : plutôt que de faire parler les chiffres, on donne la parole à « la petite dame », à la passante. {…}
La télévision a recours à Madame Michu depuis son invention. {…}
C’est dans ses frusques vintage que se glisse Laurence Bibot, composant une mosaïque qui dessine comment on se représentait jadis (et toujours ?) les femmes à travers le petit écran.
Bien sûr, Laurence a pioché dans les archives de la Sonuma quelques personnages plus grands que nature, des femmes-fétiches, presque des freaks. {…}
À côté de ces Amélie Nothomb, Barbara ou Juliette Greco (…) qui regardent la caméra avec aplomb, il y a aussi et surtout ces anonymes archétypales qui exhalent la saveur d’un temps où la mise en scène de soi-même et l’expression de son avis n’allaient pas de soi. D’un temps également où, à la télévision, {…} c’était l’homme qui était porteur du regard et en assurait un relais imbibé de sexisme ordinaire auprès du public. {…}
Ce paysage pourrait être déprimant si Laurence Bibot ne mettait ici en exergue l’expression de ces femmes dans ce qu’elles ont de plus spontané, touchant, drôle… en d’autres termes, ce qu’elles ont de plus belge. {…} Ici un accent, là un vêtement, une coiffure, une attitude {…} Dans ce pays qui ne fait rien comme les autres, ces femmes, filmées à hauteur de « Belge moyen », métabolisent et catalysent le goût d’une époque et d’un territoire. Et on ne peut que les aimer. »
Myriam Leroy
Extrait du livre qui accompagne l’exposition.
Musée de la Photographie de la Fédération Wallonie-Bruxelles
Avenue Paul Pastur 11, 6032 Charleroi, Belgique